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Médecins et pharmaciens naviguent à vue

Le cadre encore flou et incomplet entourant les biosimilaires entrave leur pénétration du marché.

© FOTOLIA / KUHRAN

 

Le marché des biosimilaires est en pleine croissance en France. D'après les données du Groupement pour l'élaboration et la réalisation de statistiques (Gers), il a augmenté de 32 % entre 2012 et 2016, valant un peu plus de 200 millions d'euros en 2016, répartis à peu près à parts égales entre l'hôpital et l'officine de ville. Malgré ces données encourageantes et des perspectives à court terme qui ne le sont pas moins en raison de l'expiration des brevets de nombreux produits biologiques dans les trois années à venir, les biosimilaires représentent en France moins de 3 % des ventes de biomédicaments en ville. La raison de ce faible taux de pénétration réside en grande partie dans le flou réglementaire qui règne encore et qui, pour l'heure, ne permet pas aux pharmaciens d'officine de pratiquer la substitution, faute d'un décret d'application de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014. 

Des blocages sanitaires

Si la sub­sti­tu­tion à l'of­fi­cine n'est donc tou­jours pas à l'ordre du jour, la pos­si­bi­lité don­née au pres­crip­teur de rem­pla­cer un mé­di­ca­ment bio­lo­gique par un autre qui lui est si­mi­laire, ap­pe­lée dans ce cas « in­ter­chan­gea­bi­lité », a elle aussi connu quelques ter­gi­ver­sa­tions : en mai 2016, l'Agence nationale du médicament (ANSM) publiait une mise au point sur la question du bon usage des médicaments biosimilaires apportant « quelques évolutions » par rapport à son précédent avis de 2013. Elle y explique que si le choix entre deux médicaments biologiques reste libre en initiation de traitement, il n'est toujours « pas souhaitable, pour des raisons de sécurité et de traçabilité, de modifier la prescription initiale, en remplaçant une spécialité par une autre, sans garantie ». Néanmoins, l'agence prend acte de l'évolution des connaissances et des analyses effectuées au sein de l'Union européenne pour consentir qu'une « intercheangeabilité peut être envisagée au cours du traitement à condition de respecter certaines conditions ». Un pas en avant, certes, mais empreint de beaucoup de précautions auxquelles les prescripteurs ne sont, on va le voir, pas insensibles.

77 % contre la substitution

Dans ce contexte réglementaire toujours vague, il s'avère que les connaissances des médecins prescripteurs, des pharmaciens et des patients sur les biosimilaires sont elles aussi quelque peu approximatives, comme le montrent trois enquêtes dont les résultats ont été présentés le 31 mars lors du salon PharmagoraPlus. L'étude Brio réalisée en 2016 par le Comité d'études et de réflexion sur les biosimilaires en rhumatologie (Cerber), auprès de rhumatologues, révèle ainsi que 71 % d'entre eux ne connaissent pas les lois encadrant ces médicaments et que la même proportion ne se considère pas comme « expert » ou même « à jour » sur la question ; 60 % se refusent d'ailleurs encore à interchanger en cours de traitement, pour des raisons principalement liées au manque de recul et à l'absence de consensus. Par ailleurs, 77 % ne sont pas d'accord pour que le pharmacien puisse pratiquer la substitution.

Légitimité en question

Du côté des pharmaciens (hospitaliers et de ville), une étude de 2016 de la Société française de pharmacie clinique (SFPC) montre que 67 % disent connaître « un peu » voire « pas du tout » ces médicaments et que 53 % d'entre eux considèrent, à tort pour le moment, que leur substitution par le pharmacien est possible. Enfin, une enquête réalisée en 2017 par l'Université de Strasbourg auprès de 600 patients atteints de pathologies rhumatologiques indique que seuls 3 % d'entre eux voient le pharmacien comme une source d'information pertinente sur la question des biosimilaires. Un taux qui a peu de chance d’évoluer positivement tant que les moyens de tenir ce rôle ne seront pas donnés à la profession. Difficile surtout d'imaginer dans des conditions où tous les acteurs naviguent à vue que l'objectif fixé dans la Stratégie nationale de santé 2018-2022 d'un « taux de pénétration de 80 % des biosimilaires sur leur marché de référence » puisse se réaliser. 

Par Benoît Thelliez

13 Avril 2018

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