Après huit longues années de procédure, l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) peut se féliciter de n’avoir jamais flanché dans son combat contre les marketplaces proposant des médicaments à la vente, en particulier contre Doctipharma (absorbé en 2021 par DocMorris).
En mai 2016, l’UDGPO avait obtenu l’interdiction de vente en ligne de médicaments par Doctipharma devant le tribunal de Nanterre, jugement dédit un an et demi plus tard par la cour d’appel de Versailles qui jugeait licite le commerce de médicaments via des plateformes. En 2019, la Cour de cassation avait infirmé cet arrêt et renvoyé devant la cour d’appel de Paris. Cette dernière a reçu plusieurs questions préjudicielles transmises à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). L’activité de Doctipharma est-elle un service de « la société de l’information », c’est-à-dire un intermédiaire entre vendeur et acheteur ?
Le droit européen permet-il aux États membres d’interdire la fourniture d’un tel service de mise en relation, via un site Internet, entre pharmaciens et clients/patients ?
Prestation à distance
Dans son arrêt rendu le 29 février dernier, la CJUE juge, d’une part, que « le service de mise en relation des pharmaciens d’officine et des patients potentiels pour la vente de médicaments relève de la notion de service de la société de l’information au sens du droit de l’Union ». En effet, rappelle-t-elle, la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil datant du 22 juin 1998 définit cette notion comme « tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services ».
D’autre part, la Cour précise les conditions dans lesquelles un État membre de l’Union, en l’occurrence la France, peut interdire un service de mise en relation entre pharmaciens et clients/patients pour la vente en ligne de médicaments. Ainsi, lorsque le prestataire n’est pas pharmacien et procède lui-même à la vente de médicaments à prescription médicale facultative (PMF), l’État membre concerné peut interdire la fourniture de ce service. En revanche, lorsque le prestataire non pharmacien « se borne, par une prestation propre et distincte de la vente, à mettre en relation des vendeurs et des clients, les États membres ne peuvent interdire ce service au motif que la société concernée participe au commerce électronique de vente de médicaments sans avoir la qualité de pharmacien ». En l’espèce, ajoute la CJUE, il revient à la cour d’appel de Paris d’apprécier de manière factuelle qui « de Doctipharma ou des pharmaciens ayant recours au service qu’il fournit » procède à la vente de médicaments.
Le choix de la France
Si l’UDGPO se réjouit de ce jugement qui permet à la France d’interdire des plateformes de vente de médicaments, encore faut-il que la France fasse ce choix. Selon le cabinet d’avocats franco-belge Ulys, l’arrêt de la CJUE est même « un désaveu pour certains lobbies français de pharmaciens qui voulaient absolument maintenir un principe absolu de vase clos selon lequel le pharmacien doit avoir la maîtrise de l’outil de vente en ligne, du début à la fin et de manière exclusive ». En outre, cette décision « n’apaise pas ceux qui craignent des opérateurs de type Amazon » puisque le cabinet Ulys s’attend à ce que ce profil de marketplaces tente « d’exploiter l’arrêt à la limite de l’acceptable », en faisant du pharmacien le seul vendeur « mais avec une délégation d’une nature et d’une ampleur telles que la prestation du pharmacien devienne, dans les faits, inexistante ».
Livraison à domicile
Par ailleurs, l’arrêt de la CJUE devrait aussi relancer l’affaire qui oppose le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (Cnop) à la société de livraison de médicaments Livmed’s. Le 26 octobre dernier, le tribunal judiciaire de Paris avait décidé de suspendre sa décision aux réponses de la CJUE aux différentes questions préjudicielles dont elle était saisie dans le litige entre l’UDGPO et Doctipharma. En effet, l’Ordre a attaqué Livmed’s en justice pour exercice de vente ou de courtage de médicaments, considérant que la société ne se contentait pas de livrer des médicaments pour le compte de pharmaciens mais qu’elle exploitait une plateforme de commerce électronique pour des médicaments sur ou sans prescription, et cela sans avoir les qualifications nécessaires. La parole est donc au tribunal de Paris.