Jean-Marc Jouannet, administrateur de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), qui regroupe 67 associations de défense des femmes battues à travers la France et chapeaute le numéro d'aide 3919, nous explique quel rôle, concrètement, peuvent selon lui jouer les pharmaciens pour aider les femmes victimes de violences à sortir de l'enfer. Sachant qu'elles sont particulièrement exposées aux coups en cette période de confinement, puisque selon le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, les violences conjugales ont progressé de 36 % en zone gendarmerie depuis la mesure sanitaire pour tenter de freiner la diffusion du virus. Ce fin connaisseur du terrain, qui préside aussi une association locale, « Du côté des femmes », à Cergy (Val-d'Oise), pense en premier lieu que les pharmaciens peuvent entrer en contact, en amont, avec les associations spécialisées de leur territoire, dont les coordonnées sont disponibles ici, pour avoir, par téléphone, une sorte de formation sur l'attitude et les réactions à avoir pour aider la victime à se livrer. « Par exemple, il y a des réflexes tout simples à adopter pour réellement écouter : ne pas répondre tout de suite quand la femme commence à parler, ne pas interrompre ou fermer la discussion mais au contraire l'ouvrir, ne surtout pas vouloir rassurer en minimisant… L'idée est de faire en sorte que la femme ait confiance et se dise “J'ai enfin face à moi quelqu'un qui m'écoute et peut être un recours” », détaille Jean-Marc Jouannet.
Proposer de téléphoner sur place
Voilà pour la « formation » : des conseils simples de professionnels associatifs aguerris que les pharmaciens ne doivent pas hésiter à solliciter. Mais concrètement, comment peut-on agir à l’officine ? « S'il s'agit par exemple d'une voisine, il faut lui confier les coordonnées des associations. Si c'est la femme elle-même qui vient, deux cas de figure se présentent : s'il y a une urgence, des signes visibles de coups, il faut contacter la police pour mettre la victime en sécurité et permettre sa prise en charge. Si le degré d'urgence est moindre, l'important est d'établir un dialogue. Donner les contacts des associations, éventuellement les appeler avec elle… » Conseil important du responsable associatif : « Le pharmacien peut proposer à la femme de passer son appel à partir du téléphone de la pharmacie. Car l'imagination, chez les hommes violents, va très souvent jusqu'à espionner scrupuleusement le portable de leur conjointe pour l'empêcher de solliciter de l'aide. D'ailleurs, le numéro 3919, quand on l'appelle, est invisible : il n'apparaît pas dans les relevés. »
À l'officine, on sait écouter
Jean-Marc Jouannet est convaincu que les pharmaciens – et a fortiori les pharmaciennes car la profession est très féminisée – sont d'excellents relais de terrain dans la lutte contre les violences conjugales. « Le pharmacien est souvent le premier interlocuteur. Il est toujours ouvert, même en ce moment, malgré le confinement. Et pour les femmes en détresse, c'est extrêmement positif de pouvoir s'appuyer sur quelqu'un de disponible. Et puis, c'est un professionnel de santé, capable d'évaluer la gravité d'une situation. Les pharmaciens sont habitués à entendre les gens exposer leurs problèmes. Les cas de comptoir, c'est leur quotidien. Or, une femme victime de violences qui vient se confier, c'est un peu ce type d'approche, en plus grave bien sûr, mais avec d'autant plus d'utilité ». Il rappelle qu'« il y a eu, en 2019, 190 décès dus à des féminicides et déjà 40 durant les 3 premiers mois de 2020 ». Et également que « les violences psychologiques, par la culpabilisation ou le dénigrement permanent, sont des violences à part entière ». Inévitablement, elles se traduiront un jour par « des coups de poings, des claques : c'est un processus classique ». La trentaine d'écoutantes du 3919, qui sont désormais entièrement redéployées en télétravail, sont disponibles du lundi au samedi de 9 h à 19 h.