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Le printemps des coupe-faim

Malgré un lourd passif, les coupe-faim font leur grand retour avec Mysimba, une association à haut risque qui vient de décrocher une AMM européenne.

Par Anne-Laure Mercier

Le bupropion est la dénomination usuelle anglo-saxonne de l’amfébutamone que l’Organisation mondiale de la santé a décidé d’adopter en 2001. © Miguel Medina

Il y a dans ce dossier comme un goût de déjà-vu. Qui ne se souvient pas de la fenfluramine (Pondéral), de la sibutramine (Sibutral) et, plus récemment, du benfluorex (Mediator), pour ne citer que ces amphétaminiques ? Tous indiqués – ou prescrits hors autorisation de mise sur le marché (AMM) – dans la surcharge pondérale ou l’obésité, puis retirés les uns après les autres du marché européen pour cause d’effets indésirables, en particulier cardio-vasculaires. Qu’à cela ne tienne, le Comité des médicaments à usage humain (CHMP) de l’Agence européenne du médicament (EMA) a rendu en décembre un avis favorable à la mise sur le marché centralisée d’une hasardeuse potion à visée amaigrissante.

Cocorico !


Buproprion + naltrexone = Mysimba ! Un cocktail qui ne rassure ni les autorités sanitaires – françaises –, ni la revue Prescrire, qui qualifie la décision européenne d’« incongrue » au vu des « désastres sanitaires passés ». © Miguel Medina

Autorisée aux États-Unis trois mois plus tôt, cette association de bupropion et de naltrexone a été rebaptisée Mysimba pour le marché européen. Les deux molécules sont connues des autorités, puisqu’elles ont été autorisées par l’Europe, mais séparément et dans des indications différentes : la naltrexone dans le sevrage de la toxicomanie aux opiacés et l’alcoolo-dépendance, le bupropion dans le sevrage tabagique et la dépression. Avec les précautions d’utilisation que le pharmacien sait… Le bupropion est d’ailleurs « structurellement proche des psychostimulants amphétaminiques », rappelle Prescrire, et Zyban est connu pour ses effets indésirables graves. L’EMA elle-même indique qu’il reste des « incertitudes quant aux résultats cardio-vasculaires à long terme » de Mysimba : « Des résultats intermédiaires […] ont été rassurants en termes de risque de maladie cardio-vasculaire grave associé au traitement » et « une seconde étude est prévue qui doit poursuivre le suivi de la sécurité cardio-vasculaire à long terme du produit. » Soit. Mais la revue Prescrire, qui parle de « régression majeure » pour la sécurité des patients, n’a pas attendu pour pousser les agences du médicament à exiger un arbitrage de la Commission européenne. Ce que seule notre Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a fait.

Efficacité « limitée »

La France avait déjà voté contre une AMM centralisée lors de la réunion du CHMP en décembre, considérant le rapport bénéfice/risque négatif dans l’indication retenue (voir « Notabene », ci-dessous), « en raison d’une efficacité limitée sur la perte de poids ». Selon l’ANSM, Mysimba n’aurait entraîné dans les études qu’une perte de poids de 10 % par rapport à l’inclusion et la différence avec le placebo n’a jamais dépassé 5 %. Elle évoque également des doutes en matière de maintien de la perte de poids et/ou d’effet rebond à l’arrêt du traitement et souligne qu’aucun résultat n’est disponible sur la morbidité et la mortalité à long terme. S’y ajoutent des « problèmes de sécurité, notamment des incertitudes au regard des effets indésirables d’ordre neuropsychiatriques (dépression et suicide) et cardio-vasculaires ». Enfin, environ la moitié des patients ont arrêté leur traitement prématurément au cours des études, du fait de sa mauvaise tolérance.

Bâtons dans les roues


Mysimba est distribué par Takeda outre-Atlantique sous le nom de Contrave. Les droits sur le marché européen sont détenus par Orexigen, dont c’est l’unique médicament.

Pour ces mêmes motifs, l’ANSM a écrit le 3 février dernier au Comité permanent des médicaments à usage humain siégeant auprès de la Commission européenne pour que soit réexaminé l’avis favorable lors d’une réunion plénière. Ce comité se compose de représentants de chaque État membre mais, alors qu’au sein du CHMP un pays est égal à une voix, les votes au sein du comité permanent sont pondérés par la taille des populations de chaque pays. Las ! Si l’Italie et l’Autriche ont rejoint la position de la France lors de la réunion qui s’est tenue le 16 mars dernier à Bruxelles, cela n’a pas suffi à inverser l’avis positif du CHMP. Conséquence : la Commission européenne a accordé dix jours plus tard à Orexigen, le 27 mars, une AMM communautaire pour Mysimba. Un revers dont l’ANSM « prend acte ». Faute de pouvoir s’y opposer, elle disposera encore de quelques garde-fous, notamment la restriction des conditions de prescription et de délivrance. Mais les négociations quant à son prix et son remboursement vont débuter. Restera ensuite aux officinaux à se réhabituer à trouver un anti-obésité dans leur Pharmacopée. Toutefois, vu le triste bilan de ses prédécesseurs, pour combien de temps ? 

Une deuxième pilule minceur sous peu

La dernière fois qu’un anti-obésité a été autorisé en Europe remonte à près de dix ans. Il s’agissait de l’Acomplia (rimonabant), qui n’a tenu que deux ans en raison de ses effets secondaires. Pas de quoi arrêter l’industrie pharmaceutique pour qui le surpoids représente  une manne considérable. Selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la santé ou d’Eurostat, plus de 50 % des Européens étaient en surpoids en 2008 et près d’un quart étaient obèses. Orexigen, l’exploitant de Mysimba, ne restera d’ailleurs pas longtemps seul : quelques jours avant lui, c’est Novo Nordisk qui décrochait une autorisation de mise sur le marché centralisée pour son anti-obésité, Saxenda (liraglutide), approuvé aux États-Unis en décembre. Cette molécule n’est pas inconnue puisqu’il s’agit du principe actif du Victoza, un antidiabétique par voie injectable  commercialisé depuis 2010 en France. Dans le domaine du surpoids, l’indication est exactement la même que celle du Mysimba (voir « Notabene », ci-dessous), avec toutefois une première période de surveillance de douze semaines.

NOTABENE

Mysimba est approuvé en complément d’un régime hypocalorique et d’une activité physique accrue pour la perte de poids chez l’adulte (> 18 ans) à l’indice de masse corporelle :

• ≥ 30 kg/m² (obésité)

• ≥ 27 et < 30 kg/m² (surpoids) en présence d’une ou plusieurs comorbidités associées au surpoids (par exemple un diabète de type 2, une dyslipidémie ou une hypertension contrôlée).

Délivré sur prescription médicale, le traitement doit être arrêté si dans les 16 semaines le patient n’a pas perdu au moins 5 % de son poids initial.


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