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Franck Devulder - Président de la CSMF

« La colère du milieu sanitaire est grande »

Le président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) représentant médecins généralistes et spécialistes, livre sa vision de l’interprofessionnalité et détaille les solutions concrètes qu’il préconise pour améliorer durablement l’état du système de soins.

Par Alexandra ChopardPhotographe Nicolas Kovarik

BioExpress

Hépato-gastro-entérologue 
à Reims, le Dr Franck Devulder
s’est investi dans les activités
syndicales dès son installation.

  •  Depuis avril 2022 : vice-président
    de l’Union nationale des
    professionnels de santé (UNPS).
  •  Depuis mars 2022 : président
    de la Confédération
    des syndicats médicaux 
    de France (CSMF),
    représentant généralistes
    et spécialistes.
  •  De 2020 à 2022 : président
    de la branche Spécialistes
    de la CSMF.
  •  De 2017 à 2020 : vice-président
    de la Fédération des
    spécialités médicales (FSM).
  •  De 2014 à 2016 : président
    du Conseil national professionnel
    d’hépato-gastro-entérologie
    (CNP-HGE).

La négociation de la nouvelle convention médicale a débuté le 9 novembre dernier. Dans quel état ­d’esprit vous trouvez-vous ?
Je suis déterminé. C’est la première fois que nous sommes soumis à une telle pression venant de toutes parts. Nos concitoyens ont de plus en plus de mal à trouver un médecin et aucun territoire n’est épargné. Nous devons y faire face, mais nous aurons du mal à trouver la solution en un claquement de doigts. Comme on manque et va manquer de pharmaciens, on manque de médecins. Pas parce que les promotions ne sont pas remplies mais parce que depuis quarante ans les politiques publiques ont mené à cette situation avec le dogme « moins de prescripteurs égal moins de coûts ». Cela n’a pas pris en compte les conséquences prévisibles du baby-boom – cette génération d’après-guerre qui va partir en retraite d’un coup –, ni l’incidence de la féminisation de la profession et encore moins, ce que l’on ignorait, l’effet « générations X, Y, Z » ou le coup d’accélérateur de la Covid-19. Les revalorisations n’ont pas été effectuées : nous avons la consultation la moins bien rémunérée de tous les pays de l’OCDE… Chez les médecins comme chez les pharmaciens, la colère est grande. Si la convention ne répond pas puissamment à la problématique d’accès aux soins, on risque un changement global de système, avec une médecine à deux vitesses dont personne ne veut. Certains députés ou sénateurs se disent que c’est facile, qu’il faut miser sur des mesures contraignantes pour lutter contre les déserts médicaux. Mais on ne met pas sous mesures coercitives une profession qui est en déficit démographique ! J’espère que cela n’arrivera pas aux pharmaciens demain.
J’entre donc dans les négociations avec une détermination sans pareille sachant que notre syndicat ne soutient aucune mesure qui consisterait à augmenter les tarifs sans que cela conduise à une amélioration de l’accès aux soins, évidemment. Pour la CSMF, il faut absolument valoriser l’expertise pour libérer du temps médecin.

L’expérimentation bretonne Osys associe pharmaciens et généralistes, dans le cadre de l’« article 51 », pour proposer un conseil pharmaceutique de première intention sur treize symptômes prédéfinis. Pensez-vous pertinent de l’étendre à d’autres territoires ?
Le travail en coopération est l’une des solutions d’avenir. Il ne s’agit pas de « transfert de compétences ». Si l’on transférait les compétences des pharmaciens aux médecins, personne ne serait d’accord. Le terme le plus adapté est celui de « partage de compétences » car les compétences ne se transfèrent pas, elles s’acquièrent. Les métiers de pharmacien, de kiné, d’infirmier évoluent, tout comme celui de médecin, en particulier en médecine générale.
Tout l’intérêt d’Osys réside – et c’est exactement ce que nous défendons – dans son caractère territorial, bassin de population par bassin de population.

« On ne met pas
sous mesures
coercitives une
profession qui
est en déficit
démographique ! »

Selon nous, il ne faut pas chercher à dupliquer les expérimentations ou décréter dans une convention médicale ou, pire, par une loi ou un décret comme le prévoit Stéphanie Rist (députée Renaissance) l’application de ce type d’organisation dans tous les territoires. Cela risquerait de nous opposer les uns aux autres alors que nous avons besoin d’être tous ensemble pour répondre à la demande. L’organisation des soins et la réponse aux besoins de la population dépendent totalement des spécificités locales, qui diffèrent par exemple entre la Mayenne et le centre-ville de Reims.
J’ai bien aimé le concept de boîte à outils du ministre de la Santé François Braun, conçue pour aider à passer un été moins rude. Mettons en place à notre tour une boîte à outils dans laquelle nous irons piocher selon les territoires. Et si un outil n’existe pas encore, qu’à cela ne tienne, innovonsv!

Pour une meilleure coordination des soins, le développement des MSP et des CPTS est-il important ?
Je fais un distinguo entre les CPTS et le reste. Elles répondent à une volonté au plus haut niveau de l’État. Cette coordination signifie aussi partager des compétences, et cette prise en charge doit être rémunérée pour maintenir un haut niveau de qualité de soins. L’ensemble de ces structures permet un accroissement très fort du nombre d’infirmiers en pratique avancée (IPA), ce qui est un progrès immense. Nous souhaitons également valoriser les assistants médicaux, qui participent notamment aux tâches administratives. Accueillir un assistant médical dans un cabinet, c’est augmenter de 10 % sa patientèle. Avec cette évolution, on s’approche des objectifs permettant de lutter contre les déserts médicaux. Il n’est pas possible de demander aux médecins de travailler plus. C’est pareil en pharmacie, c’est un fait de société. Mais en leur donnant les moyens d’en faire un peu plus, cela peut faire la différence.

Les pharmaciens seront autorisés, en janvier prochain, à prescrire et injecter les vaccins inscrits au calendrier vaccinal pour les plus de 16 ans. Si cela libérera du temps médical, certains médecins ont pointé une atteinte à leur modèle économique. Qu’en est-il ?
Concernant ces évolutions des pratiques, je l’affirme, le chef d’orchestre doit demeurer le médecin traitant. Mais cela ne signifie pas du tout qu’il doit diriger les autres professionnels de santé, qu’il serait le « chef » de l’infirmier ou du pharmacien ! D’ailleurs, les médecins n’en ont pas envie, ce n’est pas leur attente et ils ne sont pas formés pour cela. En revanche, lorsque le pharmacien réalise une injection sur un patient, il faut que le médecin traitant en soit informé. L’espace numérique santé va nous aider à fluidifier les communications. D’un point de vue économique, il faut prendre en compte la situation globale. Si les consultations les plus rapides sont confiées à d’autres professionnels de santé pour libérer du temps médecin – ce qui est nécessaire –, mais que la rémunération du généraliste n’évolue pas de façon significative alors qu’il se trouve à traiter majoritairement des cas complexes, cela ne fonctionnera pas. Nous allons nous retrouver avec une médecine à deux vitesses. Nous sommes partisans d’une hiérarchisation des consultations médicales sur quatre niveaux en fonction de l’expertise du médecin et du profil du patient concerné.

Les biosimilaires font partie des moyens de réduction des coûts. Comment améliorer leur usage en ville ? 
L’économie attendue par l’Assurance maladie grâce aux biosimilaires est considérable. Il faut à mon sens faire une distinction entre « petites molécules » et biothérapie : l’enjeu de qualité de prise en charge est radicalement différent. Sur ce sujet aussi, je crois à la décision partagée, à l’intérêt d’une discussion entre médecin, pharmacien, infirmier et patient. Je souhaiterais que le pharmacien parle avec le patient de l’existence d’un biosimilaire, que ­celui-ci en discute avec son médecin à sa visite suivante pour mûrir la décision et que l’infirmier soit associé à l’éducation thérapeutique. De plus, à partir du moment où l’on est passé du princeps au biosimilaire, il ne faut pas que le patient change à nouveau de spécialité. Il est primordial qu’il soit totalement en confiance avec ses médicaments complexes.

« Je crois à la décision
partagée entre
soignants et patients. »

Qu’est-ce que « l’engagement populationnel » que vous aimeriez voir mis en place ?
La société fonctionne selon le principe des droits et des devoirs et cela vaut aussi pour les professionnels de santé, dont les médecins. Cela signifie que pour bénéficier de nos droits, notamment une rémunération à bon niveau, nous devons nous engager à améliorer la prise en charge globale des patients. Je crois beaucoup à l’idée du contrat d’engagement populationnel. Cette idée consiste à valoriser l’expertise du médecin pour lui permettre de mieux s’organiser afin d’augmenter sa patientèle ou sa file active, de s’engager dans le soin non programmé ou dans son territoire. C’est l’exemple des consultations avancées dont je suis un ardent défenseur parce que je les pratique personnellement. Je me rends régulièrement, en tant que gastro-entérologue, dans des zones qui souffrent d’un manque de médecins. Or, mes consultations avancées ne sont pas bonifiées. L’incitation doit être intensifiée pour encourager ces pratiques.

Ces droits et devoirs concernent-ils également les patients ?
Même si ce n’est pas politiquement correct de le dire, j’affirme que, oui, le principe s’applique aux soignants comme aux patients. Ce sont cinquante millions de rendez-vous par an qui ne sont pas honorés, alors que de nombreux patients n’arrivent pas à obtenir de consultation. Il faut que les services de prise de ­rendez-vous en ligne empêchent le blocage de créneaux chez plusieurs spécialistes dans une même temporalité. Et il faut s’adresser aux patients, d’abord de façon pédagogique, puis en tapant au portefeuille. Il est temps de prendre des mesures. 

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