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Le retour de la toux des 100 jours

La flambée épidémique de la coqueluche semble notamment liée à la perturbation de son cycle naturel par la Covid-19. Un contexte qui justifie plus que jamais la vaccination maternelle.

Par Claire Frangi

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Depuis le mois d’avril, les chiffres n’en finissent pas de grimper. Selon ­Santé publique France, le nombre de cas de coqueluche confirmés est passé de 18 294 (chiffres de janvier à mai 2024) à 134 639 (entre janvier et août 2024) en seule médecine de ville. Trente-cinq décès ont été recensés depuis le début de l’année, vingt de ces victimes étant des enfants âgés de moins de 1 an. Ces données restent des estimations, la coqueluche n’étant pas une maladie à déclaration obligatoire. Elles sont toutefois largement supérieures à celles des épisodes précédents, sans pour autant que les formes revêtues par l’infection soient plus sévères ou malignes. Cette recrudescence spectaculaire touche également le reste de l’Europe – certains pays, comme la République tchèque, le sont tout particulièrement – avec un nombre de cas approchant celui des années 1960, soit la période précédant la généralisation de la vaccination. D’autres pays comme la Chine ne sont pas épargnés non plus. Mais l’hiver pourrait venir freiner le rythme des contaminations car, par rapport aux pathologies respiratoires ou à la grippe, la coqueluche a une saisonnalité inversée. Une accalmie, mais pour combien de temps ? 

Pic en deux temps 

Selon le professeur Sylvain Brisse, directeur du centre national de référence de la coqueluche à l’Institut Pasteur, « les pics durent souvent deux étés. Il est donc possible que l’on assiste à une remontée l’an prochain. Mais comme en 2024 l’épidémie a été d’une ampleur exceptionnelle, il se pourrait que l’on ait d’ores et déjà atteint une immunité de groupe importante. Donc que l’on n’observe pas, en 2025, de second pic. » Cette maladie fonctionne en effet par vagues, selon un mécanisme bien identifié. « Elle suit un cycle naturel tous les 3 à 5 ans », explique Camille Locht, directeur de recherche émérite au sein du Centre d’infection et d’immunité Inserm/Institut Pasteur de Lille. « La maladie induit elle-même une immunité. Plus la population est infectée, plus elle est immune, et plus le nombre de cas diminue. Mais au bout d’environ deux ans, une nouvelle population vulnérable croît, se fait infecter, ce qui crée une nouvelle épidémie. Si la vaccination a fait fortement chuter l’amplitude de ces pics, elle n’a pas changé l’intervalle entre ces derniers. Tout au plus l’a-t-elle peut-être un peu allongé », précise-t-il. Cette activité cyclique a toutefois été perturbée par les conséquences de la pandémie de Covid-19. « Avec les mesures barrières, Bordetella pertussis, le germe responsable de la coqueluche, n’a plus circulé comme auparavant. Et l’immunité naturelle, qui se fait par les muqueuses du nez et diminue avec le temps, a disparu, affirme Camille Locht. Le pic ­épidémique, attendu en 2022-2023, n’a pas eu lieu. » Ce n’est que depuis le début de l’année 2024 que l’agent de la coqueluche rencontre donc une population moins immunisée et plus sensible que par le passé, ce qui participe à son retour fracassant. Autre cause possible de la flambée épidémique de 2024 : « Les souches de la bactérie qui circulent sont un peu différentes de celles des épidémies pré-Covid, avance ­Sylvain Brisse. Ces mutations sont très répandues à l’échelle de la population, plus fréquentes que lors des pics précédents. » La plus faible efficacité, sur le long terme, des vaccins acellulaires actuellement utilisés (voir encadré ci-dessous) pourrait aussi avoir influé sur la recrudescence observée cette année. Une circulation inédite de Bordetella pertussis qui a poussé en juillet la Haute Autorité de s­anté (HAS) à rappeler les recomman­dations vaccinales en vigueur depuis 2022, trop peu appliquées, à savoir la vaccination de la femme enceinte entre 20 à 36 semaines d’aménorrhée, même si elle est à jour de ses vaccinations conformément au calendrier. 

Une fenêtre à saisir

Cette immunisation de la future maman est, en l’état actuel des connaissances, le meilleur moyen de protéger le nouveau-né et le nourrisson avant que leur propre vaccination à 2 et 4 mois, suivie d’un rappel à 11 mois, ne prenne le relais. « Administré chez une femme enceinte, il induit la fabrication d’anticorps qui seront transmis au fœtus durant la grossesse. Le bébé sera protégé dès sa naissance des formes graves et mortelles », déclare Camille Locht. Une vaccination effectuée juste avant le début de la grossesse suffirait-elle ? Non, indiquent les études, tant pour une question de durée de vie – courte – des anticorps, que pour une question de quantité. En effet, si la mère a été vaccinée en amont, la concentration des anticorps maternels n’est pas assez élevée pour assurer une protection passive du nourrisson. C’est d’ailleurs pour cette même raison que l’injection du vaccin contre la coqueluche devra être réitérée à chaque grossesse, la règle à respecter étant de laisser au moins un mois entre deux doses de vaccin. Depuis 2012, une question agite malgré tout la littérature scientifique : des études suggèrent que les enfants nés de mères vaccinées pendant la grossesse produiraient un peu moins d’anticorps après leur propre primo-­vaccination que les enfants nés de mères non immunisées pendant la grossesse. Camille Locht se veut rassurant sur ce point : « Le bénéfice de la vaccination maternelle contre la coqueluche l’emporte largement sur le risque d’une plus faible production d’anticorps par le bébé, qui reste suffisante pour le protéger des formes graves de l’infection et passer le cap des ­premiers mois. »

Bientôt un vaccin intranasal ?

Les vaccins actuellement utilisés contre la coqueluche sont dits « acellulaires », donc composés d’une poignée d’antigènes immunisants. Ils limitent la sévérité de l’infection et des effets de ses toxiniques mais n’empêchent pas la bactérie de contaminer et de se transmettre. Extrêmement efficaces dans l’enfance, leur efficacité diminue assez vite, « en cinq à sept ans, explique Sylvain Brisse, ­directeur du centre national de référence de la coqueluche. Ce qui fait qu’on peut considérer qu’au bout de dix ans, on n’est quasiment plus protégé. » ­Critiqués pour cette efficacité de court terme, ils sont toutefois appréciés pour leur absence d’effets indésirables.
Plus efficaces contre la bactérie, les vaccins à germes entiers, utilisés jusqu’au début des années 2000, étaient a contrario plus difficiles à contrôler au niveau de la production, plus réactogéniques, et ils ont été progressivement bannis des pays développés. Néanmoins, les ­vaccins acellulaires pourraient être supplantés dans un avenir proche. « Nous travaillons depuis une vingtaine d’années sur un vaccin vivant sous forme de spray nasal. Nous avons modifié génétiquement la ­bactérie qu’il contient de manière à la rendre inoffensive mais qu’elle induise une immunité au niveau des muqueuses du nez, pour empêcher l’infection par Bordetella pertussis, l’agent causal de la coqueluche, et sa transmission », détaille Camille Locht, directeur de recherche Inserm à l’Institut Pasteur de Lille. Une étude de phase III pourrait débuter sous peu, avec le désir de lancer le vaccin sur le marché américain d’ici à 2 ou 3 ans.

NOTABENE

Face au contexte
exceptionnel de
la coqueluche, la HAS
a aussi rappelé
l’importance de mettre 
en œuvre la stratégie dite 
du « cocooning », 
c’est-à-dire un rappel
vaccinal à toutes les
personnes (entourage
familial, professionnels 
de santé et de la petite
enfance) pouvant être
en contact rapproché avec
des nouveau-nés et des
nourrissons de moins
de 6 mois, si la dernière
injection reçue date
de plus de cinq ans.
Cette stratégie est celle
qui s’appliquait il y a
une dizaine d’années 
en France. « On ne 
pratiquait pas la
vaccination maternelle 
à l’époque car l’on 

ignorait que le vaccin
[proposé à l’entourage
du bébé] n’empêchait 
pas l’infection 
et la transmission. 
Les gens parfaitement
vaccinés n’étaient 
pas malades de
la coqueluche mais 
pouvaient quand
même être infectés
et la transmettre »
,
commente Camille Locht,
chercheur à l’Inserm.


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