Alors que le conseil scientifique estime l'épidémie de coronavirus « sous contrôle » en France, les fabricants hexagonaux de masques en tissu tirent la sonnette d'alarme. En effet, des centaines de milliers de masques dorment dans leurs entrepôts, ainsi que des kilomètres de tissus spécifiquement stockés pour assurer la continuité de la production.
Une production inédite
Face à la pénurie de masques grand public constatée rapidement après le début de l'épidémie, près de la moitié des entreprises de textile françaises se lancent dans la fabrication de ces dispositifs, adaptant leurs lignes de production habituelles aux modèles mis au point dans l'urgence en collaboration avec l'Association française de normalisation (Afnor). Cette production exceptionnelle nécessite des investissements (achat de machines à coudre supplémentaires, voire installation dans de nouveaux locaux plus vastes) ainsi que le recrutement de personnel. Malgré l'incertitude, les entreprises acceptent le challenge. « La société Boldoduc, qui produit l'un des trois premiers modèles agréés par la Direction générale de l’armement (DGA) dès le 20 mars, a installé une usine éphémère à Lyon dans une friche Fagor-Brandt, en achetant pour 200 000 euros de machines à coudre et en recrutant une centaine de couturières avec Pôle emploi », explique par exemple le quotidien économique Les Échos. Rien qu'en Auvergne-Rhône-Alpes, la capacité de production atteint désormais 5 millions de masques lavables par semaine.
Le flou des besoins réels
Mais alors que se profilait le déconfinement, mairies et communautés d'agglomérations souhaitent doter leurs populations de masques en tissu : elles passent donc commande à ces entreprises directement. Les pharmaciens ne sont pas informés des décisions prises localement pour l'équipement des personnes. Ils restent donc dans le flou concernant les besoins de la population en matière de protection. Beaucoup d'entre eux se démènent pourtant pour identifier des fournisseurs capables de les livrer rapidement et cela, dans des conditions financières correctes. En effet, si le tarif d'un masque tissu n'est pas encadré, la secrétaire d’État à l'Économie, Agnès Pannier-Runacher, avertit le 1er mai au micro de RTL qu'« il y aura des enquêtes chaque semaine » pour s'assurer « qu'il n'y ait pas de dérive des marges ».
Douche froide
Mais depuis lors, il s'avère que les demandes restent faibles en officine, la majorité des personnes utilisant l'équipement fourni par leur commune en complément des masques en tissu faits maison et des jetables largement disponibles en grandes et moyennes surfaces (GMS). Ainsi, certains pharmaciens, qui avaient précautionneusement commandé des masques en tissu, peinent aujourd'hui à écouler leur stock. Côté producteurs, c'est la douche froide. Selon Pierric Chalvin, délégué général d'Unitex, qui fédère les entreprises du secteur textile, interviewé par Les Échos, « les commandes des collectivités locales et des entreprises s'effondrent, quand elles ne sont pas annulées face à la concurrence des produits d'importation à moindre coût ». Et de pointer une commande du ministère de l'Économie de 10 millions de masques lavables passée à une entreprise vietnamienne. De son côté, Bercy répond qu'il s'agit d'une commande « non récurrente », passée au mois d'avril, c'est-à-dire au moment où « aucun fournisseur français n'était capable de fournir » ce volume de dispositifs. Selon France Info, « le gouvernement va lancer la semaine prochaine, une mission avec deux ambassadeurs, pour aider les entreprises à trouver des clients ». La relocalisation de la production d'équipements nécessaires à la santé publique se heurte d'ores et déjà à la loi de l'offre et de la demande.