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Alain Fischer - président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale de l’État contre la pandémie de Covid-19

« C’est une course contre la montre »

Chargé de coordonner la stratégie vaccinale de l’État contre la pandémie de Covid-19 en France, le Pr Alain Fischer revient sur l’état des connaissances concernant le virus et ses variants ainsi que sur l’impérieuse nécessité d’une vaccination massive.

Par Christophe Micas et Benoît ThelliezPhotographe Nicolas Kovarik

BioExpress

Membre de l’Académie de médecine,
Alain Fischer a reçu de multiples
distinctions et prix internationaux pour
ses travaux de recherche en immunologie.

  • Depuis 2020 : président du Conseil
    d’orientation de la stratégie vaccinale
    de l’État contre la pandémie
    de Covid-19.
  •  Depuis 2011 : directeur de l’Institut
    des maladies génétiques 
    (IHU Imagine).
  •  Depuis 2006 : professeur 
    de pédiatrie à l’Institut
    universitaire de France.
  •  De 2005 à 2009 : membre
    du Comité consultatif
    national d’éthique (CCNE).
  •  De 2002 à 2005 : directeur
    du groupement d’intérêt
    scientifique (GIS)-Institut
    des maladies rares.
  •  Depuis 1996 : chef du 
    service d’immunologie 
    et d’hématologie pédiatrique 
    de l’hôpital Necker-Enfants
    malades (APH-HP).
  •  De 1992 à aujourd’hui :
    successivement directeur 
    des unités Inserm 
    « Immunopathologie 
    et rhumatologie infantile » 
    et « Développement normal 
    et pathologique du système
    immunitaire ».

Y a-t-il un espoir de passer un été tranquille ?
La circulation du virus en France a chuté de façon spectaculaire à la fin juin avec, pour corollaire, une réduction très importante du  nombre de nouveaux cas, d’hospitalisations, de personnes en réanimation et de décès. La conjonction de plusieurs facteurs peut expliquer ce phénomène : les mesures de confinement d’avril-mai, le maintien de certains gestes barrières, la vaccination bien sûr et un peu la météo. C’est un cocktail propice à la diminution de nouveaux cas. Et comme la vaccination ne va pas décroître, que la météo devrait être plutôt favorable et, je l’espère, que les gestes barrières continueront d’être raisonnablement respectés, on peut penser que ce mouvement s’amplifie. Mais on ne peut jamais être certain, d’autant plus que le variant Delta indien, plus transmissible, se développe rapidement en France. Il faut être vigilant puisqu’il pourrait entraîner, à plus ou moins courte échéance, une éventuelle reprise du nombre de cas comme cela a pu être observé en Grande-Bretagne.

Peut-on imaginer que ce variant Delta soit à l’origine d’une quatrième vague ?
On ne peut pas l’exclure compte tenu du fait qu’il s’avère nettement plus transmissible que les autres variants. On a vu la vitesse à laquelle il s’est répandu en Grande-Bretagne et aujourd’hui, la quasi-totalité des cas de Covid britanniques, même s’il n’y en a pas beaucoup, sont liés à ce variant. Il s’est également développé au Portugal, à Moscou apparemment et en France. Il va prendre le dessus et devenir majoritaire. S’il n’y a pas d’augmentation significative du nombre de cas ou bien si celle-ci ne s’accompagne pas de cas graves, cela aura finalement peu d’incidence. Mais il demeure un peu d’incertitude à ce niveau. La conclusion est qu’il faut se faire vacciner. C’est une course contre la montre qui est lancée entre la vaccination et le virus.

Ce variant Delta est-il plus dangereux ?
Ce n’est pas évident. Il ne semble pas plus virulent, mais il est plus transmissible et il va par conséquent toucher plus de monde. Statistiquement, vous aurez donc des personnes infectées qui seront gravement malades. Pour contrer cela, je le répète, la vaccination est essentielle et en particulier celle des patients les plus fragiles, qui est aujourd’hui assez avancée, même si elle n’est pas encore complète.

À partir de quel âge pensez-vous qu’il est nécessaire de vacciner contre le coronavirus ? 
Aujourd’hui, toutes les personnes âgées de 12 ans et plus sont éligibles. Pourquoi faut-il vacciner les adultes jeunes et les adolescents qui sont moins sensibles à la Covid et qui font moins de formes graves ? Trois raisons à cela. La première est que, même s’ils sont beaucoup moins à risque que les personnes âgées, les plus jeunes présentent tout de même quelques cas de formes graves. En un an, 500 cas de réactions inflammatoires intenses ­chroniques ou qui durent un petit moment ont été relevés chez de jeunes enfants et 125 chez des adolescents. Quelques cas de Covid long au sein de cette population ont également été décrits. Deuxième raison de vacciner les jeunes, la prévention des conséquences psychologiques et psychiatriques non négligeables de l’épidémie sur eux. Une augmentation des tentatives de suicide, de syndromes dépressifs, d’automutilations et de troubles de l’alimentation, liée au renfermement et au fait que l’école a fonctionné de façon plus ou moins intermittente, a été observée. Cela touche plus particulièrement les classes sociales défavorisées qui vivent dans des conditions plus difficiles chez eux. Enfin, troisième argument : la nécessité d’atteindre une immunité de groupe qui permette de vraiment contrôler l’infection.

« Idéalement, il faudrait
que 90 % des adultes
et 80 % des adolescents
soient vaccinés. »

Compte tenu de la transmissibilité du virus, et plus spécifiquement celle du variant Delta, il faut que 80 % de la population tous âges confondus soient protégés, par vaccination ou infection. En gros, pour arriver à ces résultats, il faudrait idéalement que 90 % des adultes et 80 % des adolescents soient vaccinés. Cela fait beaucoup d’arguments qui plaident en faveur de la vaccination des jeunes adultes et des adolescents. Je pense qu’on peut leur indiquer que c’est aussi le moyen de leur permettre de retrouver ce à quoi ils aspirent le plus, c’est-à-dire une vie sociale normale.

Les personnes qui ont d’ores et déjà terminé leur schéma vaccinal auront-elles besoin d’une troisième injection ?
Nous n’avons pas la réponse aujourd’hui à cette question car on ne connaît pas la durée de protection conférée par les vaccins. À six mois, on sait que c’est bon. Toutefois, il est probable que cela puisse aller au-delà compte tenu des valeurs d’anticorps que l’on observe, même si nous n’avons pas de corrélation complète entre ces dernières et l’efficacité de la protection. Ce qui paraît logique, c’est d’abord d’envisager un rappel pour les premières personnes qui ont été vaccinées et qui se trouvent être les plus vulnérables, les personnes âgées et certains malades à risque, mais aussi les professionnels de santé. Il serait plausible que ces personnes soient vaccinées à l’automne, au moment de la vaccination antigrippale. Pour le reste de la population, attendons d’en savoir plus. Nous verrons sans doute cela l’année prochaine.

Avez-vous des données concernant la transmission du virus chez les personnes vaccinées ?
Il y a au moins trois études sur le sujet qui ont été menées en Israël, au Qatar et en Grande-Bretagne. Elles montrent que chez les sujets vaccinés, on retrouve très peu de portages asymptomatiques du virus, avec une réduction de l’ordre de 90 % de PCR par prélèvement nasal positifs lorsque la vaccination est complète. Ce n’est pas une démonstration absolument formelle du caractère protecteur de la vaccination vis-à-vis de la transmission, mais c’est extrêmement probable.

Quels sont les risques avec les vaccins contre la Covid en général et ceux à ARNm en particulier ? 
Des centaines de millions de personnes à travers le monde ont reçu ces vaccins et ils se portent très bien. Autrement dit, les éventuels effets indésirables associés à ces vaccins sont extrêmement rares et essentiellement liés au risque de choc anaphylactique immédiat chez des personnes généralement déjà très sensibles à certains produits. Ce risque est inférieur à 1/100 000… À part ça, il n’y a pas grand-chose. Les allégations de certains concernant une éventuelle recombinaison de l’ARN vaccinal avec le génome n’ont aucun sens. Cet ARN va se dégrader en quelques jours et n’entre pas dans le noyau. Il n’y a pas non plus, apparemment, de recrudescence de maladies auto-immunes. Aucun vaccin n’est parfait, mais les risques d’accident sont excessivement faibles avec ceux-ci. L’analyse bénéfices/risques est, elle, extrêmement positive.

Les vaccins à ARN messager sont-ils l’avenir de la vaccination ?
Ce sont des options technologiques intéressantes qui doivent évidemment être testées et qui le sont d’ailleurs déjà pour d’autres maladies infectieuses. Mais je ne pense pas qu’il faille considérer qu’ils vont remplacer tous les vaccins à l’avenir, même s’ils auront sûrement une place dans la vaccination pour les années qui viennent.

Peut-on imaginer un vaccin composé de plusieurs ARNm contre des maladies différentes ?
On peut déjà imaginer des vaccins qui couplent des ARNm un peu différents, ceux des variants par exemple. Moderna prépare un vaccin mélangeant la séquence de la protéine spike initiale avec celle de la spike « variant Afrique du Sud ». Alors oui, de la même façon qu’il y a des vaccins hexavalents pour les nourrissons, pourquoi ne pourrait-on pas envisager des vaccins polyvalents à ARNm. Mais il faut voir quelle quantité d’ARN il est raisonnablement possible d’injecter sans déclencher une trop forte réponse inflammatoire immédiate.

Êtes-vous favorable à une levée des brevets sur les vaccins dans certaines circonstances ?
Oui, à titre personnel, j’y suis favorable, tout en étant conscient que ce n’est pas la panacée. Ce n’est pas parce qu’on lève ces brevets que tout le monde va pouvoir subitement produire des vaccins. Il existe de nombreux autres obstacles, car il faut aussi posséder la technologie, le personnel, les usines et le matériel pour les fabriquer. Or, il y a une tension réelle sur beaucoup de produits nécessaires à leur préparation.

Le Pass sanitaire est-il une bonne initiative ?
C’est une mesure pragmatique qui est utile et permet d’organiser avec plus de sécurité des manifestations rassemblant beaucoup de monde. Cela représente aussi une incitation à la vaccination. Et tout ce qui favorise la vaccination va dans le bon sens.

Comment jugez-vous le rôle des pharmaciens dans l’atteinte de l’immunité collective ?
Les pharmaciens ont un double rôle : celui de dialoguer avec leurs patients et celui de vacciner. J’ai entendu un jour la présidente de l’Ordre des pharmaciens dire que 4 millions de personnes entrent chaque jour dans une officine. C’est considérable.

« Les pharmaciens
ont démontré tout
leur savoir-faire
avec la vaccination
antigrippale. »

La pharmacie est un lieu où il existe une grande inter­ac­tion avec le public, où les gens posent des questions et où le pharmacien peut leur parler de l’importance de la vaccination, leur délivrer une information de qualité et intelligible. Et puis les pharmaciens vaccinent. Pas autant que nous le souhaiterions car les vaccins à ARNm ne sont pas encore assez disponibles en pharmacie. C’est une limite, même si le vaccin Moderna est en train d’aller progressivement vers les officines et les cabinets médicaux. Donc je pense que les pharmaciens vont davantage vacciner dans les prochains mois qu’ils ne le font aujourd’hui. Avec le Moderna et j’espère ensuite avec le Pfizer.

Au-delà de la vaccination contre la Covid, seriez-vous favorable à l’implication des pharmaciens dans les rappels de vaccins chez l’adulte ?
Oui, je suis absolument favorable à ce que l’ensemble des vaccins soient administrés par des professionnels de santé compétents. Et les pharmaciens ont ­démontré tout leur savoir-faire avec la vaccination antigrippale.

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