C’est peu dire que le burn out préoccupe de plus en plus, au sein non seulement des entreprises mais aussi de la sphère institutionnelle et politique. Après l’ouverture l’été dernier, par la loi Rebsamen, de la possibilité de reconnaître les « pathologies psychiques » comme maladies d’origine professionnelle, l’Assemblée nationale planche sur le syndrome d’épuisement professionnel depuis le mois de juillet et devrait rendre son rapport en décembre prochain. Les professionnels de santé n’en sont pas exclus. Pour preuve, il y a presque un an déjà, le Centre national des professions libérales de santé (CNPS) organisait le 3 décembre 2015, avec l’association Soins aux professionnels de santé (SPS), le tout premier colloque sur « les vulnérabilités des professionnels de santé ». Un second est déjà en préparation, qui se tiendra le 29 novembre. Parce qu’il y a malheureusement matière à…
Éviter le pire
En Île-de-France, le récent suicide d’un pharmacien suite à des problèmes financiers a sonné l’alerte dans la profession. « Nous nous sommes dit que nous aurions pu éviter ce drame, qu’il fallait faire quelque chose. Il y a actuellement beaucoup de pharmacies en difficulté, de pharmaciens au bord du gouffre. Or il existe des solutions pour les aider », indique Philippe Dauphin, membre du Syndicat des pharmaciens du Val-d’Oise. Dans l’urgence, en plein mois d’août, une cellule d’écoute (voir « Nota Bene » ci-dessous) a ainsi été mise en place pour « permettre aux confrères, souvent isolés, de parler de leurs problèmes, dans l’anonymat s’ils le souhaitent. Parler, se sentir écouté, recevoir un appui psychologique, c’est un premier soutien. Nous les aidons ensuite à résoudre leurs problèmes », en les dirigeant vers des banquiers, par exemple. Le dispositif, concentré sur les pharmaciens franciliens en grande difficulté économique, est amené à s’étoffer. Mais l’objectif restera le même : que ce genre de drame ne se reproduise pas.
Première hot-line
Pallier l’isolement, guider, c’est aussi l’idée d’Adop, l’association Aide et dispositif d’orientation des pharmaciens (voir « Nota bene » ci-dessous) créée en Rhône-Alpes en janvier 2016. Ce service d’écoute téléphonique ouvert à tous les pharmaciens français est unique en son genre, d’après la présidente de l’Agence Conseil Santé Catherine Cornibert, elle-même docteur en pharmacie.
« Nous nous sommes
dit que nous aurions
pu éviter ce drame. »
Il s’adresse spécifiquement à ceux qui se retrouvent en difficulté financière ou psychologique et fonctionne avec pas moins de 27 confrères qui décrochent selon un tour de garde bien établi. Formés à l’écoute, à l’évaluation du risque et de l’urgence, ils dirigent vers le psychologue, l’addictologue, l’expert-comptable, l’avocat, le juriste… avec lesquels collabore Adop. Depuis son lancement, l’association a reçu une trentaine d’appels. « Épuisement, addiction, braquage, redressement, liquidation judiciaire, conflit avec l’associé…, nous avons tous les cas de figure », raconte Didier Vieilly, son vice-président. Soutenue financièrement par l’Ordre des pharmaciens lors de sa mise en place, Adop bénéficie désormais de l’aide de l’agence régionale de santé.
Prévenir le risque
Outre ces outils d’entraide pour les pharmaciens en détresse, un autre champ d’action s’ouvre : celui de la prévention du risque. Les pharmaciens font en effet partie, avec les avocats et les médecins, des professions ciblées par le programme RSI Prévention Pro 2016-2019 développé par le régime social des indépendants (RSI, lire encadré « La moitié des pharmaciens en souffrance » ci-dessous). Encore en cours de construction, un dispositif visera la détection précoce du stress professionnel. Mais, d’ores et déjà, les caisses du RSI mettent à disposition des libéraux des outils d’information et de réflexion. Parmi eux, une bande dessinée intitulée Une journée particulièrement stressante d’un pharmacien en officine présente, à partir de situations du quotidien, les signes et facteurs de stress (patients récalcitrants, problèmes de management…), ainsi que les réactions à adopter (voir illustration). Également téléchargeable sur le site Rsi.fr, elle a pour objectif d’inciter à la vigilance, d’être attentif à une consommation accrue d’alcool, de tenir compte des perturbations professionnelles et familiales, etc. L’important étant, à ce stade, de ne pas s’isoler, ni de culpabiliser ou de s’inquiéter des conséquences qu’aurait une prise en charge pour épuisement professionnel sur son activité.
Conséquences financières
En effet, la peur du gendarme ordinal – motivé par la protection du patient – pousse certains à ne pas révéler leurs problèmes, redoutant une éventuelle sanction et une mise au ban de la profession. En outre, les délais de carence parfois importants des assurances – 90 jours environ – laissent craindre aux professionnels en souffrance des problèmes de trésorerie irrécupérables.
« Épuisement,
addiction, braquage…,
nous avons eu tous
les cas de figure. »
D’où l’importance de lieux de confidentialité neutres et indépendants comme Adop. Si la culture de la prévention commence seulement à faire son chemin chez les libéraux, à l’exercice par définition plutôt solitaire, et encore moins chez les pharmaciens, elle est déjà bien installée chez les personnels hospitaliers, en particulier les anesthésistes ou les infirmiers. Ce qui n’a pas empêché cinq suicides d’infirmiers en quelques semaines... et la mobilisation de la profession, culminant en un rassemblement à Martigues le 14 septembre dernier en mémoire de leurs collègues disparus.
Les pharmaciens, contrairement aux médecins libéraux, ont la chance de pouvoir compter sur une équipe pour les soutenir. En effet, par la force des choses, « l’alerte vient souvent des collègues ou de l’entourage, jamais de l’intéressé », témoigne Catherine Cornibert qui milite, entre autres, pour la mise en place d’un numéro d’appel national et de structures adéquates, notamment des lits d’hospitalisation. Qu’il touche les professionnels de santé ou non, le burn out souffre encore d’un problème de reconnaissance : « Le terme de burn out ne peut être actuellement un diagnostic médical. Son usage extensif conduit à confondre détresse (ou fatigue) et pathologie émotionnelle », notait ainsi l’Académie de médecine en février dernier. Peu importe le terme, tout compte fait. Quel que soit le type de difficulté qu’affronte un officinal et son niveau d’urgence, le mot d’ordre est simple : oser en parler.