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« Être au plus près des réalités du terrain »

La directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) veut s’appuyer sur l’expertise des professionnels de santé les plus proches des patients pour développer sa politique de prévention et de réduction des risques.

Par Benoît ThelliezPhotographe Nicolas Kovarik

BioExpress

Docteur en immuno-hématologie
de formation, Christelle Ratignier-
Carbonneil
a engagé au sein
de l’ANSM une politique d’ouverture
afin de mieux intégrer l’expertise
des patients et des professionnels
de santé dans les décisions de l’Agence. 

  • Depuis décembre 2020 : directrice
    générale de l’ANSM. 
  • De 2016 à 2020 : directrice générale
    adjointe de l’ANSM.
  • De 2012 à 2016 : directrice adjointe
    à la Caisse nationale d’assurance
    maladie des travailleurs salariés
    (CNAMTS).
  • De 2010 à 2012 : conseillère
    pour les produits et les industries
    de santé au sein du ministère
    du Travail, de l’Emploi
    et de la Santé.
  • De 2002 à 2010 : exercice
    de plusieurs fonctions en lien 
    avec l’évaluation clinique 
    des médicaments au sein 
    de l’Agence française de sécurité 
    sanitaire des produits de santé 
    (Afssaps), devenue ANSM.

De récentes données indiquent une progression importante de la iatrogénie médicamenteuse. Quelles actions mène l’ANSM contre ce phénomène ?
C’est l’un des sujets majeurs de l’Agence concernant la prévention du mésusage et surtout la politique du bon usage. Les résultats de l’étude Iatrostat mettent en évidence une augmentation des hospitalisations par rapport à la dernière enquête qui date de 15 ans, avec une part des antinéoplasiques importante. Il faut cependant être vigilant dans l’interprétation que l’on fait de ces chiffres car il n’y a pas forcément beaucoup de mésusage avec ces molécules et c’est certainement leur part croissante dans la pharmacopée qui entraîne mécaniquement cette augmentation. Nous voyons également que les médicaments plus anciens, qu’il s’agisse des AVK ou de ceux utilisés dans le champ des troubles psychiatriques par exemple, continuent de générer des effets indésirables évitables. Il est donc essentiel de continuer à rappeler le bon usage de ces molécules bien connues et pour lesquelles le niveau de vigilance est peut-être moins important qu’il ne l’est vis-à-vis de produits plus récents. Dans ce cadre, l’information des médecins, des pharmaciens et des patients est essentielle. Il faut pouvoir se poser la question, à chaque fois qu’il y a une prescription médicamenteuse et une dispensation, du bien-fondé de la place de ce médicament dans le traitement du patient. Dans ce contexte, nous estimons que le binôme médecin généraliste/pharmacien a un rôle prépondérant à jouer dans le bon usage car il est à la confluence des prescriptions, notamment des spécialistes, et connaît particulièrement bien ses patients. Et puis, et c’est l’un des rôles de l’ANSM, il est important de bien faire comprendre que l’autorisation de mise sur le marché (AMM) n’est pas uniquement un cadre réglementaire mais aussi un cadre de sécurité qui permet de définir un périmètre dans lequel le rapport bénéfices/risques est positif. Au-delà, on prend forcément plus de risques. La preuve en est que lorsque l’on sort de l’AMM, on augmente d’environ 50 % le risque d’effets indésirables. C’est tout notre travail d’expliquer que ce cadre n’est pas fait pour contraindre les professionnels de santé mais, au contraire, pour les sécuriser, tout en sachant qu’il peut bien évidemment exister du hors-AMM qui est pertinent. C’est en se mettant tous ensemble pour essayer de comprendre les ressorts du mésusage et agir conjointement que l’on améliorera la situation.

Que mettez-vous en place concrètement sur cette question ?
Pour mener à bien cette politique de prévention, nous mettons en place des actions sur plusieurs fronts. Nous sommes en cours de réalisation d’une enquête ViaVoice dans le but d’obtenir un état des lieux du mésusage en termes de perception, qu’elle soit celle des médecins, des pharmaciens ou des patients. Les résultats seront partagés avec l’ensemble de nos comités pour faire émerger des propositions de mesures d’information, de communication et d’actions car je suis très attachée à la coconstruction avec les parties prenantes associées aux remontées de terrain.

Dans ce contexte, quel est le rôle du pharmacien ?
Nous savons que le pharmacien, à l’instar du médecin généraliste, est un professionnel de santé de proximité qui connaît parfaitement sa patientèle. La mesure de retrait du paracétamol, ou encore des anti-­inflammatoires, de l’espace de vente situé devant le comptoir était d’ailleurs destinée à renforcer son rôle prépondérant dans la prévention du mésusage des médicaments en facilitant le conseil dispensé aux patients.

« Le pharmacien
est un effecteur
essentiel des
messages que
nous souhaitons
faire passer. »

Tout le monde aura pu le remarquer pendant la pandémie, le métier de pharmacien d’officine est en train de changer en profondeur, notamment depuis la convention de 2012 qui lui a octroyé une place d’acteur de santé à part entière. À l’ANSM, nous sommes parfaitement conscients de son importance dans le paysage sanitaire, notamment lorsqu’il s’agit de transmettre des messages de prévention ou des mesures de réduction des risques par rapport à certains médicaments puisque c’est le professionnel qui est en contact direct avec le patient lors de la dispensation. Le spécialiste du médicament qu’est le pharmacien est un effecteur essentiel des messages que nous souhaitons faire passer aux patients.

Où en sommes-nous concernant le problème ­récurrent des tensions et ruptures de spécialités ?
Sur le sujet de la couverture des besoins sanitaires des patients et donc de la gestion des tensions et des ruptures de médicaments, les compétences de l’ANSM sont circonscrites aux médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM). Par ailleurs, le champ de compétences et d’activité de l’Agence concerne les tensions et les ruptures issues d’un problème dans la chaîne de fabrication et exclut donc celles provenant de la chaîne d’approvisionnement. Il faut rappeler que la France est l’un des États où l’appareil légal et réglementaire encadre le plus cette problématique des ruptures. Les laboratoires sont ainsi contraints de déclarer le plus en amont possible tout risque de tension ou de rupture car, dans ces situations, nous avons besoin de temps pour nous permettre de vérifier l’existence d’alternatives thérapeutiques, de mobiliser les autres laboratoires, etc. C’est dans cette même optique qu’a été actée dans la loi la mise en place de stocks de sécurité pour tous les MITM. Nous avons des échanges très réguliers avec les pharmaciens et les autres professionnels de santé impliqués lorsque nous devons gérer ces situations particulières. Cela aboutit, dans certains cas, à la possibilité donnée aux officinaux de proposer à leurs patients une alternative thérapeutique, sans qu’il y ait forcément un passage préalable chez le médecin.

La liste des médicaments biologiques substituables est moins large que celle qui était pressentie. ­Comment a-t-elle été établie ?
Il faut d’abord bien comprendre que nous donnons un avis sur des médicaments, après saisine du ministère de la Santé, à l’intérieur d’un périmètre que nous n’avons pas choisi nous-mêmes. Dans ce cadre, nous avons échangé avec l’ensemble des parties prenantes, les prescripteurs, les pharmaciens et les associations de patients, pour faire en sorte que l’information et la décision soient partagées. Il était également essentiel de s’assurer que l’ensemble des conditions soit réuni. Concernant les hormones de croissance, l’existence de nombreux dispositifs d’administration différents complexifie grandement la possibilité de substitution en ville. La liste des médicaments biologiques autorisés à la substitution est certainement amenée à s’élargir, mais pour le moment il est important d’assurer le lancement avec des molécules qui présentent la totalité des prérequis afin que cette opération puisse se réaliser dans un environnement le plus sécurisé possible.

Quelles sont les raisons qui ont présidé à la volonté de l’ANSM de développer un réseau de correspondants de terrain dont font partie les pharmaciens ?
Si les médecins, les pharmaciens et les associations de patients sont représentés dans toutes nos instances au niveau national, nous avons fait le constat partagé qu’il nous manquait une représentativité à l’échelon local, pour coller au mieux à la philosophie de l’ANSM d’être au plus près des réalités de chaque territoire et des besoins de chacune des parties prenantes. Par ailleurs, nous savons que le triptyque patient/médecin généraliste/pharmacien est absolument essentiel dans le cadre du bon usage des produits de santé. L’idée est donc venue de créer un mécanisme permettant des remontées de terrain avec une représentativité la plus large possible, à la fois strictement géographique, mais également ­vis-à-vis de différentes typologies comme l’urbanité ou la ruralité.

« Le triptyque patient/
médecin généraliste/
pharmacien est
essentiel dans le cadre
du bon usage. »

Il nous apparaît extrêmement précieux de pouvoir disposer d’un réseau de correspondants prenant la forme de binômes constitué d’un pharmacien et d’un médecin généraliste. Cela va nous permettre de prendre le pouls et d’évaluer l’impact sur le terrain des mesures que nous proposons au niveau national, mais aussi et surtout d’interroger en amont les binômes sur des questions de bon usage ou d’autres pour savoir, dans leurs pratiques, si telle ou telle décision est adaptée à la réalité locale. Si l’on prend l’exemple de la mise en place d’une mesure de réduction des risques, l’objectif est d’atteindre la cible et s’assurer que le patient ait bien reçu et compris l’information. La diffuser par le biais des professionnels de santé qui sont en contact direct avec lui, qui parlent d’une même voix, nous semble être l’approche la plus appropriée et la plus à même d’atteindre le but recherché. Je ne souhaite pas réinventer la roue mais au contraire m’appuyer sur les bonnes pratiques qui existent déjà sur le terrain.

Comment va fonctionner ce réseau ?
Dans le cadre de la phase pilote, nous avons mis en place 50 binômes de professionnels qui se sont choisis mutuellement et qui ont, dans la plupart des cas, déjà l’habitude de travailler ensemble. C’est une stratégie qui est amenée à s’étoffer dans l’objectif de multiplier les retours d’expérience des pratiques au quotidien pour identifier, par exemple, des modifications éventuelles à opérer dans les conditions de prescription ou de délivrance. Nous allons mettre en place des enquêtes flash sur des sujets sensibles afin de ne pas noyer les professionnels de santé concernés qui sont déjà très occupés par ailleurs. Les questions auront été définies préalablement par le comité constitué des quatre partenaires que sont les deux syndicats de pharmaciens d’officine, FSPF et Uspo, le Collège de la médecine générale et l’ANSM afin de coller au plus près aux demandes et aux attentes. L’ambition est bien d’être agile, de ne pas travailler uniquement de manière descendante et d’obtenir une réponse commune du médecin et du pharmacien après un travail collaboratif autour de la problématique posée. Comme je le répète souvent, seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin. Tout ne sera pas possible, car il existe un cadre réglementaire et législatif, mais je suis avide de faire remonter tout ce qui peut faciliter, au quotidien, la sécurisation des patients exposés aux produits de santé et la pratique des professionnels de santé concernés. De manière plus globale, on remarque aujourd’hui que ces derniers ont envie de travailler ensemble. L’enthousiasme des acteurs de ce réseau laisse penser que la démarche était attendue et qu’elle donnera des résultats très intéressants.

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