Qu’est-ce qu’Interfimo et quelle est son action auprès des pharmaciens d’officine ?
La Compagnie interprofessionnelle de financement immobilier et mobilier, Interfimo, est une émanation du monde des professions libérales créé il y a cinquante ans, époque à laquelle elles avaient des difficultés à obtenir des financements bancaires. Un homme, Lionel Hauvespre, a eu une idée : inviter autour d’une table différents présidents de syndicats de professions libérales pour créer un organisme de caution mutuelle. Au fil des années, Interfimo est devenu filiale de LCL avec une particularité : si la banque détient 99 % du capital, elle a toujours fait en sorte de laisser la majorité des droits de vote aux membres du conseil de surveillance composé de 18 sièges, dont 14 pour les présidents de syndicats. C’est une joint-venture complètement atypique dans le paysage bancaire français. Aujourd’hui, Interfimo, ce sont 6 milliards d’euros d’encours porté sur le monde de la pharmacie, sachant que nous finançons chaque année, en moyenne, entre 1,2 et 1,3 milliard d’euros dans ce seul secteur, dont 450 millions d’euros sont alloués aux premières installations pour à peu près 600 projets. Nous étudions deux dossiers de transaction sur trois, ce qui nous permet, depuis plus de vingt ans, de réaliser chaque année une solide étude des prix de cession.
Quelles sont les tendances qui se dégagent des chiffres du marché de la transaction en 2023 ?
En premier lieu, il faut expliquer que 2023 est un exercice de rupture. Nous laissons derrière nous les rentabilités dégagées par la Covid-19. C’est une rupture dans la progression des chiffres d’affaires (CA) mais aussi en termes de taux de marge en raison de l’impact des médicaments chers. On observe une baisse de la rentabilité liée à celle de la marge ainsi qu’à l’inflation. Ce marché va donc devoir être piloté non plus en se basant sur des coefficients mais sur les euros dégagés. On constate par ailleurs une progression du nombre d’opérations de transaction en 2023 qui prouve que le marché est dynamique. Le modèle est certes amené à évoluer, mais le métier reste rémunérateur, porteur de sens et d’avenir. L’autre point qui ressort de notre étude est la tendance baissière observée en fin d’année 2022, qui s’est prolongée en 2023 et que l’on estime particulièrement saine par rapport au contexte économique puisque les rentabilités ont baissé. Si l’on veut garder de la fluidité dans ce marché et continuer à pouvoir accompagner des jeunes qui ont envie d’y rentrer, il faut qu’ils puissent acheter à un juste prix, mais ils doivent accepter de ne pas pouvoir revendre à un pourcentage beaucoup plus élevé que celui de l’achat. Ce modèle est terminé. En revanche, ils continuent de patrimonialiser en ayant des niveaux de rémunération qui demeurent corrects.
Pourquoi avez-vous intégré cette année une approche des prix en multiples de la marge commerciale brute ?
Nous avions deux indicateurs. Un sur le CA et l’autre sur un multiple de l’excédent brut d’exploitation (EBE). Encore aujourd’hui, beaucoup de raisonnements se font sur le CA, or sa composition a évolué avec l’arrivée des médicaments chers. Nous sommes donc face à une augmentation du CA mais pas forcément de la rentabilité.
« Il faut que le crédit
se rembourse par
la rentabilité
de la pharmacie. »
Il faut désormais raisonner sur la rentabilité de l’officine qui se voit au niveau de l’EBE, sachant toutefois qu’un seul coefficient serait un peu réducteur. Or, il y a un indicateur économique qui annule l’impact des médicaments chers : la marge. On ne parle plus de pourcentage de marge, mais de la marge en euros : combien je touche réellement. Il faut que le crédit se rembourse par la rentabilité de la pharmacie. Si l’on n’abandonne pas totalement l’ancien coefficient du CA, il est toutefois nécessaire qu’il prenne de moins en moins d’importance. Lorsque nous avons les dossiers entre les mains, ils sont déjà négociés. Mais comme nous sommes en contact avec beaucoup de négociateurs et d’experts-comptables spécialisés, ce sont des sujets que nous évoquons ensemble et que nous devons faire évoluer. La disparition probable, à terme, de l’indicateur du CA prendra du temps dans les mentalités. Et c’est normal : lorsque vous avez acheté il y a dix ans sur la base d’un coefficient du CA, vous avez envie de revendre sur les mêmes bases. Le problème est qu’en face, l’acheteur va devoir rembourser sur sa rentabilité réelle.
Comment fonctionne un pacte d’associés et qu’est-ce que cela implique concrètement pour les parties prenantes ?
Pour nous, c’est une pièce essentielle du dossier d’instruction car il régit ce que sera la gouvernance entre les associés et permet d’éclairer les moments de vie qui ne sont pas toujours heureux. On le voit dans toute entreprise libérale qui rencontre des difficultés : elles sont rarement le fait d’un problème médical ou économique mais le plus souvent le fruit de tensions entre les individus. Il est donc primordial de mettre sur le papier tout ce qui va gouverner les rapports entre associés en matière d’investissement, de désinvestissement, de rémunération, de nouvelles entrées au capital, de croissance externe, etc. Ce n’est certes pas une obligation pour l’acheteur de nous fournir ce document, mais cela demeure un élément de transparence et nous permet de vérifier deux choses : l’indépendance de gestion du titulaire et le partage de valeur à la sortie. Il y a deux sortes de pacte d’associés. Celui pour une officine avec trois ou quatre associés et puis celui, certes très minoritaire, qui régit les relations à travers un grand groupe de pharmacie et des bailleurs de fonds qui ne sont pas toujours les associés exerçant mais les associés capitalistiques, parfois extérieurs à la profession. Dans ce cas-là, c’est encore plus sensible. Lorsqu’un groupement émet un emprunt obligataire souscrit par un fonds d’investissement ou un family office, il faut vraiment se poser la question des modalités de remboursement. On explique ainsi que tout en détenant 25 % du capital, le financier mettra la main sur 99 % du résultat économique de l’entreprise. Et pour éviter que ces 99 % se transforment en peau de chagrin, il mettra en place une commission de rémunération des obligations qui va doubler la dette à peu près tous les 7 ans, sans parler du partage de valeur qui va priver le titulaire d’une grande partie de son pouvoir décisionnaire. Ce sont des situations très limites vis-à-vis du Code de la santé publique puisque le titulaire qui engage sa responsabilité pénale, civile et ordinale n’a pas l’entière maîtrise de son entreprise.
De manière générale, y a-t-il un risque réel de financiarisation de la pharmacie ?
Nous sommes très partagés. La dette représente en général 70 % de l’investissement. Les 30 % restants sont apportés par le chef d’entreprise sur ses fonds propres ou, s’ils ne les possèdent pas, par des financiers qui l’accompagnent. Même si le domaine de la santé a ses propres caractéristiques, il demeure très capitalistique car un fonds de commerce ou un plateau technique de radiologie demandent des investissements conséquents. Comme on ne peut pas endetter à trop haut niveau l’entreprise libérale sous peine de la fragiliser, il y a donc un intérêt à faire entrer des financiers pour nourrir son développement. Mais il faut se poser la question des agendas.
« Il faut donner
aux jeunes
les éléments pour
qu’ils comprennent
dans quel schéma
ils s’engagent. »
Le secteur de la santé s’appréhende sur le temps long, et demander à un titulaire d’être en mesure de servir un retour sur investissement de 30 % sur une partie de son financement risque de se faire au détriment de la qualité des soins, de la rémunération et met sous pression le modèle économique de la pharmacie. Je ne jette jamais l’anathème sur les financiers mais il faut savoir raison garder. Dès que cela touche l’humain : attention au rapport financier. Les fonds d’investissement qui arrivent, ce qui pour le moment reste un épiphénomène, vont s’intéresser aux grosses pharmacies et cela risque, à terme, de creuser le fossé entre ces dernières et les petites officines. Qu’en est-il du coup du maillage et de l’accès aux soins ? Il faut donc être vigilant et donner aux jeunes les éléments pour qu’ils comprennent exactement dans quel schéma ils s’engagent. Sur certains dossiers, on constate une réelle méconnaissance du sujet et c’est un travail que nous menons avec les universités avec, entre autres, l’idée de labéliser un DU de gestion de l’officine. Nous sommes très regardants sur le fait de donner un peu plus de culture du pilotage financier et de lutter contre l’asymétrie de l’information. Financer des installations de personnes qui ne sont pas forcément issues de milieux argentés est la raison d’être d’Interfimo qui a une vocation humaniste. Pour l’heure, nous sommes sur un chemin de crête car il faut bien comprendre que derrière l’accès aux soins, il y a le pacte social et républicain.