Vous avez en charge la représentation auprès de l’État et de l’Assurance maladie de pas moins de douze professions de santé. N’est-ce pas une gageure d’accorder toutes ces corporations aux intérêts parfois divergents, comme en ce moment les infirmiers et les pharmaciens sur la vaccination à l’officine ?
En interpro, il y a toujours des frictions. La particularité de l’UNPS est d’avoir été créée par la loi ; nous sommes donc une interface de négociation avec l’État et l’Assurance maladie, et tous nos membres sont nommés au Journal officiel. En d’autres termes, c’est un lieu de débats, d’échanges, d’expression, mais pas de clashs ou de batailles syndicales ou médiatiques, comme dans d’autres structures. Mon rôle, en tant que présidente, est de trouver le plus grand dénominateur commun entre tous ; j’ai pour cela les pouvoirs que me confère l’assemblée plénière.
Un des gros dossiers de l’UNPS, c’est l’accord-cadre interprofessionnel (Acip). Quelles ont été les difficultés au cours des discussions ?
Concrètement, nous venons de recevoir le dernier texte issu de la négociation de juillet. C’est logiquement le dernier aller-retour, le texte devant ensuite passer au vote au sein de l’UNPS. Notre décision finale de signer ou pas sera prise le 4 octobre prochain. Les discussions durent depuis six mois, ce qui reste un délai raisonnable pour une négociation interprofessionnelle qui sera le socle de toutes les autres négociations « monoprofessionnelles » déclinées métier par métier. Ce n’est en réalité pas très long, même si le texte a été complexe à écrire : douze professions sont concernées, les spécificités des uns et des autres ne doivent donc pas être oubliées.
Que contient exactement cet Acip ? On a beaucoup parlé de la prescription électronique, entre autres, qui devrait changer le quotidien des pharmaciens une fois mise en place…
Si on revient à la prescription électronique, l’état des lieux, c’est une négociation autour d’expérimentations. Je rappelle que l’Acip est une somme de principes, de projets et d’évolutions ; il ne s’agit pas, par exemple, de négocier des tarifs, comme c’est le cas dans les conventions monoprofessionnelles [celle des pharmaciens ou des médecins par exemple, NDLR]. L’Acip regroupe tout ce qui est commun à une majorité de professions et qui pourra par la suite être décliné. Une fois l’Acip signé, la révolution n’arrivera pas demain pour les pharmaciens. Il faudra pour cela attendre que ses principes soient appliqués dans notre convention. Je le répète : si l’UNPS signe au nom des douze professions, le texte devra encore être ratifié par la suite par un ou plusieurs syndicats au sein de chacune de ces professions. En d’autres termes, personne ne peut signer tant que l’UNPS n’a pas donné son feu vert mais une profession peut très bien refuser de se voir appliquer le texte.
Après des années de développement, l’intérêt politique semble se focaliser autour de la prescription électronique, en tout cas depuis quelques mois. Pourquoi cet empressement ?
L’Assurance maladie est très demandeuse de la prescription électronique mais tient à mettre en place un silo où toutes les prescriptions seraient au même endroit. Elle ne posséderait qu’un numéro anonymisé, sans mention ni du médecin ni du patient, charge au pharmacien de réactiver la prescription au moment de télétransmettre.
« L’Assurance maladie
est très demandeuse
de la prescription
électronique. »
L’Acip doit durer cinq ans et le texte doit absolument prévoir tous les projets qui seront développés pendant ce laps de temps. Peut-être la prescription dématérialisée sera-t-elle généralisée dans quatre ans, difficile de le savoir aujourd’hui [le 18 septembre dernier, Emmanuel Macron a annoncé sa généralisation en 2022, NDLR]. On ne pourra pas resigner un Acip tous les ans. Nous devons également tendre vers la « généralisation d’un exercice coordonné pour les professionnels de santé », comme le précise le texte. Ce n’est évidemment pas demain que nous serons tous en pôles de santé, en maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), en communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou que sais-je… mais il faut le prévoir.
MSP, CPTS… cela reste très abstrait pour la grande majorité des pharmaciens. Les professionnels libéraux arriveront-ils à s’en saisir ?
Cela reste loin aujourd’hui, certes, mais le président de la République devrait faire des annonces très importantes [elles ont effectivement eu lieu le 18 septembre dernier, dans le cadre du plan «Ma santé 2022 », NDLR] sur le sujet de l’exercice coordonné. Il veut aller vite et quadriller le territoire (lire « La santé façon Macron »).
Amener des gens à travailler ensemble implique nécessairement de les payer pour ce faire, qu’est-il prévu à ce niveau ?
On parle beaucoup d’un ACI CPTS, à savoir un accord conventionnel interprofessionnel (ACI) pour ces structures de soins coordonnées. Nous étudions cette possibilité du point de vue juridique. Le gros avantage est que cela permettrait de les rémunérer au lieu qu’elles soient financées, comme c’est le cas actuellement, par le fonds d’intervention régional (FIR), qui n’est par définition pas pérenne et donc pas adapté. Il nous faut le bon vecteur conventionnel pour faire avancer les choses.
Plus concrètement, quelle est la situation sur le terrain ? Les soins coordonnés sont-ils une réalité ?
Ils se développent de plus en plus. Le rapport du Haut Conseil de l’Assurance maladie (HCAM) [paru à l’été dernier, NDLR] préconise 1 000 CPTS en France, mais je rappelle qu’une CPTS moyenne concerne 60 000 habitants et englobe le social et le médico-social, ce sont donc de grandes structures. Ce qui est sûr, c’est que si nous ne disposons pas d’outils informatiques et techniques, et qu’il y a cinquante applications différentes, nous n’arriverons pas à faire de coordination sur le terrain. Je parle de suivre des patients au jour le jour, grâce à un agenda partagé, des carnets de suivi… le tout devant être interopérable sur nos logiciels métier et nos téléphones, en fonction des professionnels.
Pourtant, des dizaines de start-up investissent le terrain de la coordination des soins, chacune avec son propre outil. Que faut-il faire pour unifier l’offre ?
« L’UNPS n’est pas
un lieu de bataille, nous
recherchons le plus
grand dénominateur commun. »
Nous sommes pour une offre cohérente et qui permette de suivre le patient de façon simple. Aujourd’hui, les professionnels jonglent en permanence entre des systèmes qui ne sont pas interopérables. Nos objectifs sont clairs mais nous n’avons pas de doctrine préétablie ; nous travaillons sur le sujet. Le dossier médical personnel (DMP), très formaté et protocolaire, n’a rien à voir avec tout cela, puisqu’il ne permet notamment pas de gérer d’agendas communs.
Sur un autre sujet, vous êtes la première pharmacienne à avoir été élue à la tête de l’UNPS, qu’est-ce que cela va-t-il changer ?
Quand je suis à l’UNPS, même si je suis pharmacien, je ne représente plus la pharmacie mais les quelque 400 000 professionnels de santé libéraux. Contrairement aux syndicats, qui reprennent toujours leurs discussions individuelles, l’UNPS, elle, construit l’interprofessionnalité.
Les masseurs-kinésithérapeutes ont récemment dénoncé l’irruption des chiropracteurs et la menace que représente cette profession intermédiaire sur leur exercice. Les pharmaciens sont-ils concernés ?
Potentiellement, toutes les professions sont concernées par l’accès partiel [un décret paru au Journal officiel le 3 novembre 2017 prévoit la possibilité d’exercer partiellement une profession, NDLR] : les infirmiers, les dentistes, les médecins… mais les pharmaciens aussi, puisque certains pays possèdent des diplômes différents du nôtre. L’UNPS est vraiment le lieu de ce genre de combat.