Quel état des lieux faites-vous de la situation économique du commerce de proximité en France ? Globalement, depuis une grosseannée, on constate une faible hausse de l’activité, en moyenne de 1,5 à 2 %, mais qui se pérennise trimestre après trimestre, avec bien entendu des variations importantes selon les secteurs d’activité représentés au sein de l’U2P. C’est un peu mieux que ce que nous avons enregistré depuis la crise de 2008. Pendant de nombreuses années, l’activité a été réduite avec d’importantes difficultés pour quelques entreprises. Après une période de stagnation, on assiste aujourd’hui à une reprise, même si nous sommes encore loin d’atteindre les niveaux de 2006-2007. Nous sommes juste en convalescence. Si l’activité de certains secteurs comme le bâtiment (+ 3 %) ou les professions libérales progresse plutôt bien, d’autres, comme la restauration ou l’artisanat alimentaire, rencontrent toujours des difficultés.
Selon vous, quelle place occupent les pharmacies d’officine dans le commerce de proximité ?
En ce qui concerne la revitalisation économique des territoires, des bourgs, des centres-villes, des quartiers et des milieux ruraux, la présence des professions liées à la santé, en particulier des médecins, est une donnée essentielle. Dans ce cadre, il est évident que les officines de pharmacie représentent un élément majeur de la continuité de services aux patients mais également de l’aménagement du territoire.
La présence d’une pharmacie constitue-t-elle un plus pour une zone de chalandise ?
Le fait d’avoir une diversité d’activités économiques regroupées sur un territoire est sans aucun doute un moteur pour l’attractivité, et la pharmacie en fait partie. Il existe toutefois un phénomène que l’on commence à percevoir dans quelques villes, celui du regroupement des pharmacies qui forment des structures plus importantes, tandis que des officines plus petites doivent fermer ; c’est regrettable.
Hormis les élus locaux, estimez-vous que le personnel politique actuellement aux manettes a une connaissance suffisante des enjeux liés aux commerces de proximité ?
Je répondrais non. Le mouvement des « Gilets jaunes » a mis en lumière la question de la fracture territoriale. Les entreprises de proximité, qui regroupent les professionnels libéraux, les artisans et les commerçants, représentent plus de 95 % des entreprises françaises de moins de vingt salariés. Et ce sont ces entreprises qui font qu’un territoire est attractif ou pas. Ce sont les zones où l’activité économique est présente qui sont les plus recherchées. Malheureusement, nous n’avons pas perçu de façon significative de politique qui soit totalement adaptée à nos secteurs en termes de fiscalité, de réglementation et de complexité administrative. Pourtant, elle est plus que jamais nécessaire pour permettre à nos entreprises de se développer et de jouer leur rôle en matière d’emploi, de formation et d’aménagement du territoire.
Quelles mesures préconisez-vous pour redynamiser les territoires ?
« Les officines sont
un élément majeur
pour l’aménagement
du territoire. »
Il faut qu’il y ait un équilibre de façon à ce que chaque Français puisse bénéficier, quel que soit l’endroit où il habite, d’un minimum de services rendant un territoire attractif et intéressant. La situation que l’on connaît aujourd’hui n’est pas arrivée par hasard, elle est le fruit d’une politique qui a été menée depuis trente ans et qui favorisait plutôt l’implantation de la grande distribution en périphérie, qui limitait l’accès des véhicules et leur stationnement dans les villes, le tout assorti d’une fiscalité dissuasive et de loyers très élevés. Si les responsables politiques veulent réellement résoudre le problème du déséquilibre des territoires, il faut agir sur de nombreux éléments et le faire de façon continue, sur une période très longue. Cela nécessite une politique sur dix ou quinze ans, quelles que soient les majorités au pouvoir. Pour faire en sorte que les territoires soient mieux équilibrés qu’ils ne le sont aujourd’hui, nous avons besoin d’une politique globale.
Que vous inspire la récente annonce du groupe Auchan de mettre en vente 21 de ses sites en France ?
Auchan prévoit 700 licenciements et Carrefour 3 000. Les promesses d’emplois faites par ces grands groupes en échange d’autorisations d’implantation n’ont pas été tenues. Pour notre part, nous avons toujours dit qu’un emploi dans la grande distribution, ce sont en moyenne trois emplois de perdus dans les activités de proximité. On le voit, non seulement la grande distribution ne crée pas d’emplois, mais elle en détruit ! Ce modèle est aujourd’hui concurrencé par le commerce en ligne et n’a pas de perspectives de développement, bien au contraire. Il est temps d’en prendre acte et de cesser l’implantation des grandes surfaces.
Que pensez-vous de la proposition de l’Autorité de la concurrence d’autoriser la vente de médicaments en grandes surfaces ?
Ce n’est ni fait, ni à faire ! Comme je le disais précédemment, la pharmacie est un élément important de l’attractivité dans une commune. Il est évident que délocaliser cette partie de l’activité vers la grande distribution va renforcer l’attrait pour cette dernière. Mais cela va complètement à l’encontre de ce que l’on souhaite en termes d’équilibre des territoires. En réalité, sous couvert d’amélioration de la concurrence, on supprime toute règle. Ce n’est pas de l’économie libérale, c’est le Far West !
Avez-vous mesuré les conséquences du mouvement des « Gilets jaunes » sur les commerces de proximité depuis son émergence ?
« Ce n’est pas
de l’économie libérale,
c’est le Far West ! »
Globalement, les entreprises représentées par l’U2P ont été touchées par les deux bouts par ce mouvement. En effet, nous avons constaté que sur les ronds-points, on rencontrait aussi bien des artisans ou des commerçants que des professionnels libéraux. Mais, en face, un nombre relativement important de nos collègues en ont subi le contrecoup négatif. Certains ont dû fermer leur entreprise lorsqu’ils étaient dans le périmètre des manifestations ; d’autres, notamment dans le secteur du bâtiment, ont rencontré des problèmes de livraison de marchandises. C’est pour cette raison que l’U2P a beaucoup travaillé avec le gouvernement afin de mettre en œuvre des mesures spécifiques d’accompagnement aux entreprises, tels que le report de cotisations sociales et l’annulation de majoration et de pénalité, ou encore d’obtenir le soutien des banques en cas de difficultés particulières. Nous plaidons pour que ces dispositions soient maintenues et nous reformulons notre demande d’annulation d’un certain nombre de cotisations pour les entreprises qui ont perdu plus de 30 % de leur chiffre d’affaires.