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La révolution des CAR-T cells

Les immunothérapies sont chères… mais les CAR-T cells le sont au moins dix fois plus. Cette nouvelle classe bouleverse pourtant la prise en charge de certains cancers.

Par Marine Cygler

© NOVARTIS

La médecine personnalisée est-elle devenue une réalité ? Fin juillet, les autorisations temporaires d’utilisation (ATU) de Kymriah (Novartis) et de Yescarta (Gilead) dans deux cancers hématologiques ont en tout cas ouvert la voie aux CAR-T cells. Ces médicaments d’un tout nouveau genre, issus des cellules du patient modifiées génétiquement, sauvent la vie de malades en échec thérapeutique après plusieurs lignes de traitement… mais leur arrivée dans les services hospitaliers implique une totale réorganisation des hôpitaux, afin notamment de gérer leurs effets secondaires très lourds. « C’est une vraie révolution. […] Il s’agit d’un traitement de rupture, on entre dans une nouvelle ère pour les lymphomes agressifs », s’enthousiasme la Pr Catherine Thieblemont, cheffe du service d’hématologie-oncologie de l’hôpital Saint-Louis (Paris). « Environ 80 % des patients, dont certains en soins palliatifs, sont en rémission après l’injection. Aucun traitement n’atteint aujourd’hui ce niveau », confirme le Pr Nicolas Boissel, hématologue à l’hôpital Saint-Louis et coauteur d’une grande étude publiée dans le New England Journal of Medicine en 2018 pour évaluer les CAR-T Cells chez de jeunes patients âgés de 3 à 25 ans atteints de leucémie aiguë lymphoblastique résistante aux traitements. Les résultats exceptionnels ont conduit aux ATU de cohorte, un raccourci vers la mise sur le marché.

Course contre la montre

Cette nouvelle classe de médicaments ne ressemble à aucune autre, puisqu’elle a comme produit actif les cellules du malade ; elle ne peut donc pas être produite en lots. Des lymphocytes T sont manipulés génétiquement pour y introduire des gènes codants des récepteurs membranaires, les fameux CAR, pour chimeric antigen receptor. Ceux-ci sont capables de reconnaître des antigènes tumoraux présents uniquement à la surface des cellules cancéreuses.


Axicabtagene ciloleucel Autorisé depuis juillet dernier en France, Yescarta est indiqué dans certains lymphomes réfractaires ou en cas de rechute. © GILEAD

En se fixant sur leurs cellules cibles, les lymphocytes T, devenus des CAR-T cells, jouent alors leur rôle et détruisent les cellules malades. Fabriquées aux États-Unis, les CAR-T cells ont un délai d’obtention de un à trois mois. Très, voire trop long pour des malades en échec thérapeutique et dont l’état peut s’aggraver durant cette période. Un délai dû au transfert des cellules, à leur modification, à leur culture et à leur réacheminement. Ce délai pourrait être raccourci à l’horizon 2019-2020 quand Novartis et Gilead disposeront de sites de production en Europe. Cette immunothérapie d’un nouveau genre n’est disponible que dans trois hôpitaux français, deux à Paris et un à Lyon, dûment labellisés par les industriels. « Le caractère individualisé et innovant de Kymriah implique que les centres suivent une formation et nécessite de mettre en place une organisation spécifique à l’hôpital pour atteindre les standards de qualité attendus », explique-t-on chez Novartis.

Un défi économique

De fait, outre l’expertise des services, les CAR-T cells obligent à repenser le parcours patient, notamment à cause de la toxicité du traitement. « La moitié des patients injectés, déjà très fragiles et souvent en aplasie, passe en réanimation à cause d’une complication appelée syndrome de relargage des cytokines. Ce n’est pas de l’ordre de l’accident. Il nous a donc fallu intégrer le service de réanimation dans le parcours patient », explique Nicolas Boissel. Un réanimateur est ainsi impliqué dès l’évaluation initiale du patient. Quatre semaines après l’injection, la phase de complications aiguës, également liées à la toxicité neurologique, est passée, même si un risque d’infection persiste pendant quelques semaines à plusieurs mois. Outre ces effets secondaires, le poids économique des CAR-T cells est sans précédent. On se souvient de la levée de boucliers lors de l’arrivée sur le marché de Sovaldi et consorts, thérapies curatives de l’hépatite C, dont le coût avoisinait les 40 000 euros la cure. Pour les CAR-T, il faut ajouter un zéro. Ces coûts, qui dépassent aujourd’hui les 300 000 euros l’injection, risquent d’être un casse-tête pour les autorités sanitaires. « Quand je clique pour valider la commande de Kymriah, j’ai toujours un temps d’arrêt. Pour chaque injection, j’engage 320 000 euros, c’est beaucoup beaucoup d’argent », confiait début octobre Isabelle Madelaine-Chambrin, cheffe de service de pharmacie hospitalière à l’hôpital Saint-Louis.

3 questions à ...

Marie Rolin

responsable de mission au sein de la Business Unit Santé d’Alcimed, à Paris.

Pourquoi un traitement par CAR-T cells coûte-t-il si cher ? L’essentiel des coûts est lié au « processing » des cellules pour effectuer les modifications génétiques in vitro. La partie logistique, notamment le transport, constitue un coût secondaire, ce qui ne comprend pas ceux engendrés par le séjour à l’hôpital et les consultations. Il faut garder à l’esprit que les CAR-T cells, qui se placent parmi les médicaments les plus chers ayant jamais existé, concentrent tous les coûts sur une période très courte puisqu’il s’agit d’une unique injection, mais qui peut conduire à une rémission complète du patient ! Comment calcule-t-on sa valeur ? Les industriels vont devoir mener des études médico-économiques pour comparer le coût pour la société d’un patient traité avec ce nouveau procédé et d’un patient non traité. La question est de savoir si le prix de l’injection de CAR-T cells compense les frais habituellement engendrés par les rechutes et traitements subséquents. Ces données seront indispensables dans les discussions avec les agences de santé. L’aboutissement des discussions est un prérequis pour le développement des CAR-T cells dans les cancers solides. Quelles sont les modalités de prise en charge aux États-Unis ? Les deux modalités envisagées outre-Atlantique sont novatrices à la fois pour les laboratoires et les autorités de santé. La première, le paiement à la performance, a été adoptée par Novartis, qui rembourse intégralement en cas d’échec du traitement à un mois. Une autre possibilité consisterait à échelonner le paiement sur plusieurs années et à l’arrêter dès que le traitement cesserait d’être efficace : pour un traitement à 500 000 euros, le système de santé pourrait payer le laboratoire 100 000 euros la première année, puis 50 000 euros les années suivantes si le patient est guéri. En cas de rechute, le paiement serait stoppé.

NOTABENE

Les CAR-T cells font partie de
la famille des immunothérapies.
Peu antigéniques, les cellules
cancéreuses ont la capacité
de se rendre indétectables et
d’échapper à la réaction
immunitaire. L’immunothérapie
consiste à restaurer l’action
antitumorale de notre système
de défense en mobilisant le
système immunitaire du patient
afin qu’il reconnaisse
les cellules cancéreuses et les
détruise. Plusieurs produits
d’immunothérapie, administrés
seuls ou en association avec
de la chimiothérapie ou de la 
radiothérapie, augmentent
la survie dans différents cancers.


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