L’allergie à l’arachide pourrait générer le prochain blockbuster, un de ces médicaments stars qui génèrent un chiffre d’affaires d’au moins 1 milliard d’euros par an. Trois millions de personnes sont en effet allergiques à la cacahuète aux États-Unis, quatre autres millions en Europe et au Japon. Au total, de 1,4 à 3 % des enfants sont touchés dans les pays du monde occidental et cette allergie provoque des accidents parfois mortels qu’on ne peut prévenir qu’en s’abstenant de consommer la protéine allergène. Une gageure dans l’alimentation industrialisée d’aujourd’hui, où l’arachide est devenue un ingrédient ubiquitaire, principalement aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons mais aussi, dans une moindre mesure, en France. La société DelveInsight, consultant pour l’industrie pharmaceutique, estime que, dans les prochaines années, le marché global d’un médicament efficace contre l’allergie à la cacahuète pourrait dépasser les 8 milliards d’euros par an.
Patch versus gélule
De quoi tenter les géants de l’industrie. Mais à ce jour, seules deux petites sociétés se sont vraiment lancées dans la course : Aimmune, une biotech californienne, financièrement soutenue par Nestlé, qui fabrique une gélule désensibilisante appelée AR101, et la start-up française DBV Technologies qui promeut le patch Viaskin Peanut. Les deux produits reposent sur le principe de l’immunothérapie qui consiste à habituer l’organisme du patient à la substance allergène en l’exposant à de petites doses que l’on augmente progressivement.
La gélule AR101 contient ainsi des doses standardisées de protéines d’arachide que le sujet absorbe par voie orale en quantité croissante, jusqu’à ce qu’il devienne capable de supporter l’équivalent d’une cacahuète entière. Le patch Viaskin, lui, transmet la protéine allergisante par voie cutanée. Les deux produits seront évalués prochainement par la Federal Drug Administration (FDA) aux États-Unis et pourraient donc y être commercialisés d’ici à 2020, si l’organisme américain les juge satisfaisants. Ce n’est pas garanti, car les deux produits ont des points faibles. AR101 provoque en effet de nombreux effets secondaires. Lors de l’essai PALISADE mené par Aimmune, publié fin 2018 dans le New England Journal of Medicine, plus de 12 % des sujets ayant reçu le produit ont dû quitter la cohorte pour cette raison. Quant à Viaskin, s’il offre une meilleure sécurité d’emploi, il n’a pas satisfait le critère d’efficacité posé au départ lors de l’essai PEPITES, publié dans le Journal of the American Medical Association (Jama) le 22 février 2019, de sorte que les auteurs de l’article reconnaissent eux-mêmes que « l’essai n’a pas été considéré comme positif ».
Si les États-Unis sont le premier pays ciblé, Aimmune veut aussi postuler auprès de l’Agence européenne du médicament d’ici à la mi-2019 : « La prévalence de l’allergie à la cacahuète augmente à la fois aux États-Unis, où elle touche plus de 1,5 million d’enfants et adolescents de 4 à 17 ans, et en Europe, où le nombre dépasse 1 million si l’on réunit la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne », précise Daniel Adelman, médecin-chef chez Aimmune.
Les grands à l’affût
Si Aimmune et DBV ont donné le départ, au moins deux géants de la pharmacie se tiennent en embuscade. Selon une présentation du docteur Cecilia Berin, immunologue à New York, faite lors du congrès annuel des allergologues américains en février 2019, le plus ancien produit étudié est l’omalizumab, un anticorps monoclonal commercialisé sous le nom de Xolair par Genentech, une filiale de Roche. Il neutralise les IgE, les anticorps médiateurs de la réaction allergique, et empêche cette dernière de se développer. Administré en injection, Xolair est déjà utilisé dans le traitement de l’asthme. Pour l’allergie à l’arachide, l’omalizumab a été testé en association avec l’immunothérapie et l’on cherche aussi à l’utiliser en monothérapie. Les résultats encourageants obtenus depuis une dizaine d’années ont conduit la FDA à attribuer à Xolair, en août 2018, le label « Breakthrough Therapy » (« percée thérapeutique ») et Genentech et Novartis se sont associés pour le développer dans le traitement des allergies alimentaires. Avec le bémol, souligné par Cecilia Berin, que si ce traitement freine les réactions dangereuses, il ne modifie pas la biologie sous-jacente à l’allergie alimentaire.
Un autre anticorps monoclonal, le dupilumab (Dupixent, Sanofi), déjà utilisé contre l’eczéma, retient également l’attention. Des essais ont montré qu’il bloque la production d’IgE : la combinaison Dupixent-AR101 fait l’objet d’un essai de phase 2, mené conjointement par Aimmune, Sanofi et sa filiale Regeneron. Cet essai doit porter sur 156 enfants et adolescents de 6 à 17 ans et devrait être terminé en mars 2021. « C’est une approche vraiment excitante qui s’attaque aux mécanismes immunitaires de base des allergies alimentaires », estime Cecilia Berin.