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L’ennemi cahuète

Allez-vous bientôt pouvoir délivrer des médicaments antiallergies aux cacahuètes ? Au moins deux candidats sérieux sont dans le pipeline.

Par Michel de Pracontal

Les conséquences d’une allergie aux cacahuètes peuvent aller de la simple réaction cutanée (angio-œdème, urticaire aiguë) à des réactions respiratoires ou gastro-intestinales, voire une anaphylaxie, très redoutée car le pronostic vital est alors engagé.© FOTOLIA/GITUSIK

L’allergie à l’arachide pourrait générer le prochain blockbuster, un de ces médicaments stars qui génèrent un chiffre d’affaires d’au moins 1 milliard d’euros par an. Trois millions de personnes sont en effet allergiques à la cacahuète aux États-Unis, quatre autres millions en Europe et au Japon. Au total, de 1,4 à 3 % des enfants sont touchés dans les pays du monde occidental et cette allergie provoque des accidents parfois mortels qu’on ne peut prévenir qu’en s’abstenant de consommer la protéine allergène. Une gageure dans l’alimentation industrialisée d’aujourd’hui, où l’arachide est devenue un ingrédient ubiquitaire, principalement aux États-Unis et dans les pays anglo-saxons mais aussi, dans une moindre mesure, en France. La société DelveInsight, consultant pour l’industrie pharmaceutique, estime que, dans les prochaines années, le marché global d’un médicament efficace contre l’allergie à la cacahuète pourrait dépasser les 8 milliards d’euros par an.

Patch versus gélule

De quoi tenter les géants de l’industrie. Mais à ce jour, seules deux petites sociétés se sont vraiment lancées dans la course : Aimmune, une biotech californienne, financièrement soutenue par Nestlé, qui fabrique une gélule désensibilisante appelée AR101, et la start-up française DBV Technologies qui promeut le patch Viaskin Peanut. Les deux produits reposent sur le principe de l’immunothérapie qui consiste à habituer l’organisme du patient à la substance allergène en l’exposant à de petites doses que l’on augmente progressivement.


Seuls ou associés ? Ces deux spécialités pourraient être utilisées à terme en association avec des immunothérapies.

La gélule AR101 contient ainsi des doses standardisées de protéines d’arachide que le sujet absorbe par voie orale en quantité croissante, jusqu’à ce qu’il devienne capable de supporter l’équivalent d’une cacahuète entière. Le patch Viaskin, lui, transmet la protéine allergisante par voie cutanée. Les deux produits seront évalués prochainement par la Federal Drug Administration (FDA) aux États-Unis et pourraient donc y être commercialisés d’ici à 2020, si l’organisme américain les juge satisfaisants. Ce n’est pas garanti, car les deux produits ont des points faibles. AR101 provoque en effet de nombreux effets secondaires. Lors de l’essai PALISADE mené par Aimmune, publié fin 2018 dans le New England Journal of Medicine, plus de 12 % des sujets ayant reçu le produit ont dû quitter la cohorte pour cette raison. Quant à Viaskin, s’il offre une meilleure sécurité d’emploi, il n’a pas satisfait le critère d’efficacité posé au départ lors de l’essai PEPITES, publié dans le Journal of the American Medical Association (Jama) le 22 février 2019, de sorte que les auteurs de l’article reconnaissent eux-mêmes que « l’essai n’a pas été considéré comme positif »
Si les États-Unis sont le premier pays ciblé, Aimmune veut aussi postuler auprès de l’Agence européenne du médicament d’ici à la mi-2019 : « La prévalence de l’allergie à la cacahuète augmente à la fois aux États-Unis, où elle touche plus de 1,5 million d’enfants et adolescents de 4 à 17 ans, et en Europe, où le nombre dépasse 1 million si l’on réunit la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne », précise Daniel Adelman, médecin-chef chez Aimmune.

Les grands à l’affût

Si Aimmune et DBV ont donné le  départ, au moins deux géants de la pharmacie se tiennent en embuscade. Selon une présentation du docteur Cecilia Berin, immunologue à New York, faite lors du congrès annuel des allergologues américains en février 2019, le plus ancien produit étudié est l’omalizumab, un anticorps monoclonal commercialisé sous le nom de Xolair par Genentech, une filiale de Roche. Il neutralise les IgE, les anticorps médiateurs de la réaction allergique, et empêche cette dernière de se développer. Administré en injection, Xolair est déjà utilisé dans le traitement de l’asthme. Pour l’allergie à l’arachide, l’omalizumab a été testé en association avec l’immunothérapie et l’on cherche aussi à l’utiliser en monothérapie. Les résultats encourageants obtenus depuis une dizaine d’années ont conduit la FDA à attribuer à Xolair, en août 2018, le label « Breakthrough Therapy » (« percée thérapeutique ») et Genentech et Novartis se sont associés pour le développer dans le traitement des allergies alimentaires. Avec le bémol, souligné par Cecilia Berin, que si ce traitement freine les réactions dangereuses, il ne modifie pas la biologie sous-jacente à l’allergie alimentaire. 
Un autre anticorps monoclonal, le dupilumab (Dupixent, Sanofi), déjà utilisé contre l’eczéma, retient également l’attention. Des essais ont montré qu’il bloque la production d’IgE : la combinaison Dupixent-AR101 fait l’objet d’un essai de phase 2, mené conjointement par Aimmune, Sanofi et sa filiale Regeneron. Cet essai doit porter sur 156 enfants et adolescents de 6 à 17 ans et devrait être terminé en mars 2021. « C’est une approche vraiment excitante qui s’attaque aux mécanismes immunitaires de base des allergies alimentaires », estime Cecilia Berin.

Et pourquoi pas un vaccin ?

L’objectif d’un vaccin contre l’allergie est simple : « rééduquer » le système immunitaire du sujet pour l’amener à tolérer l’allergène. À l’université du Michigan, l’équipe de Jessica O’Konek a mis au point un vaccin administré en spray nasal qui stoppe ou atténue les réactions à la cacahuète… chez des souris. Reste à confirmer ce résultat encourageant chez l’homme. Un essai de phase 1 sur une vingtaine d’enfants et adolescents, financé par Astellas, vient de débuter avec un vaccin particulier : le principe est d’induire une réponse immunitaire contre l’allergène en injectant l’ADN codant pour cette protéine. Le vaccin contenant une courte séquence permettrait de déclencher une réponse immunitaire plus complète… et d’agir sur la « mémoire » du système immunitaire. L’essai d’Astellas est mené dans plusieurs centres médicaux aux États-Unis et les résultats sont prévus pour octobre 2020. La biotech australienne Sementis a de son côté conçu un vaccin censé faire en sorte que le système immunitaire d’un sujet allergique soit « reprogrammé » pour se comporter comme celui d’un sujet normal ; autrement dit, le patient vacciné n’aurait plus de réaction allergique à la cacahuète. Le concept est séduisant mais n’a pour l’instant pas dépassé le stade des essais in vitro sur des cellules immunitaires.

NOTABENE

Une autre piste,
également prometteuse,
vise à se servir du
microbiote, les micro-
organismes vivant
dans l’intestin grêle
et le colon de tout
un chacun, pour prévenir
les réactions allergiques :
la flore intestinale est
en effet altérée chez les
sujets allergiques.
La thérapie consisterait
en ce cas à transplanter
à un patient allergique une
préparation à base de
matière fécale issue d’un sujet
sain. Un essai est en cours,
mené par l’équipe du docteur
Rima Rachid, à l’Hôpital
pour enfants de Boston
(pour l’instant sur des adultes).
Les résultats seront connus
d’ici à l’été 2019.


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