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Les pharmaciens tiennent leur position

Les pharmaciens sont, depuis le début de la crise sanitaire, aux avant-postes de la lutte. Leur implication sans faille dans l’accomplissement de leurs missions met plus que jamais en lumière la capacité du réseau officinal à servir la santé publique.

Par Benoît Thelliez

© adobestock_rudall30

C’est une sorte de « stress test » grandeur nature auquel est soumise la France depuis maintenant plus d’un mois. Sauf qu’il ne s’agit pas d’une simulation destinée à mesurer la capacité de nos organisations sanitaires à répondre à l’urgence, mais bel et bien de l’une des plus graves crises sanitaires qu’ait connu notre pays depuis des décennies. Partout dans les hôpitaux, les cliniques, les structures médico-sociales, les cabinets de ville, les professionnels de santé travaillent d’arrache-pied pour prendre en charge les patients symptomatiques infectés par le Covid-19, protéger ceux qui ne le sont pas et continuer d’assurer le traitement et le suivi des autres pathologies. Des tâches dont s’acquittent également tous les pharmaciens d’officine en plus des nouvelles missions que leur a confié l’État dans un contexte tendu et un environnement réglementaire en constante évolution. Autant de défis qu’ils relèvent avec une grande efficacité et qui met en lumière, outre leur qualité de professionnels de santé de premier recours parmi les plus appréciés de la population, leur grande capacité d’adaptation, leurs compétences inégalées en matière de logistique, tout autant que l’importance fondamentale du maillage territorial du réseau officinal. 

Cavalcade et mascarade 

À l’annonce du confinement par le président de la République le 16 mars dernier, les Français se sont rués dans les commerces alimentaires… et les pharmacies. Certains pour tenter d’y acquérir du gel hydroalcoolique malgré la pénurie constatée depuis déjà plusieurs jours, d’autres pour faire des réserves de paracétamol et, la plupart, pour renouveller leurs traitements chroniques et obtenir des conseils rassurants. « Les 16 et 17 mars ont été marqués par un afflux énorme à l’officine », confirme en effet Marc Sartorio, titulaire à Caen (Calvados). Mais si la problématique du manque de gels a été rapidement prise en mains par les officinaux eux-mêmes en proposant au gouvernement de fabriquer en préparatoire des solutions hydroalcooliques selon la formule émise par l’Organisation mondiale de la santé, celle des masques s’est révélée nettement plus épineuse. Réclamés à cor et à cri par les médecins hospitaliers et libéraux, mais aussi par une grande partie de la population, les réserves de ces dispositifs de protection dont disposait le pays se sont rapidement révélées insuffisantes, obligeant les autorités de santé à les réquisitionner tout en chargeant les pharmaciens de leur distribution aux seuls professionnels de santé. Une mission qu’ils ont assurée tant bien que mal en raison de consignes peu claires, ­incomplètes et fluctuantes.
« Les masques nous sont arrivés en quantité insuffisante pour répondre aux besoins de tous les professionnels de santé de notre territoire », constate Jérôme Cattiaux, titulaire à Cambrai (Nord). Ce que confirme Marie-Claire Denoual, titulaire à Rennes (Ille-et-Vilaine) : « Nous avons distribué la dotation que l’on nous a donnée tout en devant gérer en direct avec l’agence régionale de santé les ordres et contre-ordres provenant des autorités et ne pas céder devant l’insistance des patients qui ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas eux aussi avoir des masques. » Pour David Thierry, pharmacien titulaire à Pont-de-Cheruy (Isère), si « la crise n’est globalement pas si mal gérée, la distribution de masques s’est mal passée, comme pour tout le monde ». Il met notamment l’accent sur « l’agressivité des gens, qui a été mal vécue par les équipes officinales », ainsi que sur « les incertitudes concernant les règles de distribution ». Quant à Cécile Betille, titulaire à Plélan-le-Petit (Côtes-d’Armor), le sujet des masques s’apparente à « un grand cauchemar », tandis que Michel Leroy, installé à Paris, préfère prendre humoristiquement du recul sur ce qui s’est avéré être une cacophonie généralisée : « On ne parlera pas des masques, c’est mauvais pour la tension ! »

Ordres et contre-ordres

Si le ministère de la Santé a tout de suite su identifier le maillage officinal comme le réseau idoine sur lequel s’appuyer pour alimenter les professionnels de santé en masques de protection, il l’a également chargé de veiller à ce que les patients chroniques ne se retrouvent pas en rupture de traitement. Constatant que ces derniers ne se rendaient plus aux consultations pour des raisons évidentes liées à la crainte d’être contaminés en salle d’attente, le gouvernement a donc décidé d’élargir les possibilités d’avoir recours à la télémédecine et pris une série de mesures législatives et réglementaires pour notamment permettre aux pharmaciens de renouveller des ordonnances mêmes périmées. Mais là encore, tout n’a pas été simple puisque les décisions se sont enchaînées à grande vitesse, obligeant les officinaux à s’adapter quasiment heure par heure, au rythme des annonces officielles. Bien que jugées né­cessaires sur le fond, ces « procédures ­compliquées, marquées par des changements fréquents », ainsi que le fait remarquer Laurence Prost-Dame, titulaire à Lons-le-Saunier (Jura), ont également été perçues comme procédant d’un « mille-feuille administratif qu’il sera nécessaire de mieux coordonner une fois la crise passée », comme le pense Claire Denoual. Alors que Denis Millet, président de la commission Études et Stratégie économiques de la FSPF, regrette que « les dates d’application des règles de délivrance n’arrêtent pas de changer », Liliane Pognon, titulaire à Remire-Montjoly (Guyane), met l’accent sur « la mise en place de nombreuses procédures de l’État qui ont souvent évolué en fonction de la situation, ne nous facillitant pas la tâche ». Selon elle, « il aurait fallu, à date fixe, une fois par semaine par exemple, un récapitulatif à jour des nombreux décrets souvent modifiés ». Les nouvelles directives concernant la délivrance contingentée du paracétamol ou encore la ruée sur le Plaquénil suite aux annonces tonitruantes du professeur Didier Raoult concernant l’efficacité supposée de l’hydroxychloroquine n’ont également pas facilité la vie des pharmaciens. Mais là aussi, leur qualité de spécialistes du médicament leur a permis de faire face avec ­diligence et efficacité, comme le démontre très justement Liliane Pognon : « Nous avons su réagir bien avant les procédures de l’État pour protéger nos patients d’une utilisation abusive et anarchique du Plaquénil en surveillant, aussi bien chez les répartiteurs que chez les confrères, les sorties de cette spécialité. » Des contre-temps qui n’ont bien évidemment pas empêché les pharmaciens d’être particulièrement attentifs à leurs patients les plus fragiles. Beaucoup d'entre eux ont ainsi procédé à une « extension du domaine [de leurs] livraisons », comme le souligne Denis Macé, titulaire à Beaucouzé (Maine-et-Loire), et le confirme Bertrand Veau, pharmacien et maire de Tournus (Saône-et-Loire), qui admet faire en ce moment « beaucoup plus de livraisons au domicile des patients qui ne peuvent pas se déplacer ou qui sont à risque »

Et maintenant les ruptures…

Comme si la coupe n’était pas assez pleine, les tensions d’approvisionnement sur certains médicaments commencent à inquiéter les officinaux, à l’instar de Bertrand Veau qui remarque que « certaines lignes de spécialités sont au bord de la rupture ». Concernant cette problématique qui ne date pas de la crise sanitaire actuelle, ­Philippe Lamoureux, le directeur général de l’organisme représentant les industriels du secteur pharmaceutique, rappelle que « cela fait plusieurs années que le Leem attire l’attention sur le phénomène de désindustrialisation qui touche l’Europe et plus particulièrement la France ». Selon lui, si la nécessité de rapatrier des capacités de production dans notre pays, notamment pour sécuriser « la fourniture de médicaments d’intérêt sanitaire stratégique », ne fait pas de doute, il estime que cela ne pourra se faire qu’en « renforçant la capacité de la France à attirer la production sur son territoire » (lire encadré ci-dessous). Pour l’heure, il met l’accent sur la nécessité absolue de « maintenir l’approvisionnement des patients chroniques s’agissant de leurs traitements habituels » et note que « plus encore qu’à l’accoutumée, le rôle du pharmacien d’officine est, en ce moment, absolument essentiel pour [ces] patients ».
Quelle que soit la distance qui nous sépare de la fin de cet épisode inédit, il est d’ores et déjà évident que les officinaux auront joué leur part, et bien plus encore. Comme le résume bien Jérôme Cattiaux, « il n’y a pas de doute que sans le maillage territorial des pharmacies, cela aurait certainement été la cacophonie la plus complète ». Reste à savoir si les responsables politiques s’en souviendront au moment de faire les comptes et de tirer les conclusions qui s’imposeront.

Les officines prêtes à dépister

La sortie du confinement se fera de manière progressive et nécessitera une capacité importante à réaliser des tests de dépistage. C’est en tout cas, entre autres mesures, ce que préconise le comité scientifique mis en place par l’État pour l’aider à piloter cette crise. L’enjeu étant bien entendu de disposer de tests sérologiques en quantité suffisante pour détecter les personnes infectées, mais aussi celles qui l’ont été et n’ont présenté aucun ou peu de symptômes. À ce stade, quoi de plus efficace que le réseau des pharmacies hexagonales pour aider à pratiquer ces tests à grande échelle ? L’expérience réussie de la vaccination antigrippale à l’officine et la récente autorisation donnée aux pharmaciens de pratiquer des Trod angine leur donnent cette légitimité et tous sont prêts à les réaliser si on le leur demande. 

Rapatrier le médicament

Le virage a été annoncé par le chef de l’État lui-même : « Pour certains produits et certains matériaux, le caractère stratégique impose d’avoir une souveraineté européenne, pour réduire notre dépendance. » Une volonté que le Leem fait également sienne en matière de production de spécialités pharmaceutiques. Mais, explique son directeur général, Philippe Lamoureux, il faudra d’abord remédier au « manque de compétitivité de la France en matière industrielle » en s’attaquant à quatre ­problèmes : « le niveau de régulation excessif, les délais d’accès au marché bien trop longs, la fiscalité la plus lourde d’Europe ainsi que la législation complexe et extrêmement instable. » Il rappelle ainsi que « le milliard d’euros de baisse de prix décidé chaque année depuis dix ans vient principalement frapper les produits matures, c’est-à-dire ceux que l’on cherche à faire rapatrier aujourd’hui ».

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