« Il existe une sorte de course à l’armement entre l’hôte et le pathogène lors d’une infection, virale notamment », indique Étienne Decroly, directeur de recherche au sein du laboratoire Architecture et fonction des macromolécules biologiques à Marseille. « Si l’être humain a évolué de façon à détecter le mieux possible les éléments pathogènes étrangers en mettant en place des mécanismes de détection et censeurs, l’évolution a également permis à ceux-ci de sélectionner des contre-mesures pour lutter contre ces mécanismes », ajoute-t-il. Ces processus évolutifs montrent donc que le développement de l’immunité chez l’hôte dépend à la fois de la réaction immunitaire au virus et des stratégies utilisées par ce dernier pour y échapper.
Facteurs génétiques individuels, fragilité et mutations
Chez l’hôte, « la réponse immunitaire met en jeu un nombre très important de molécules, essentiellement des protéines telles que des cytokines, des anticorps et des récepteurs, ainsi que tout un système de signalisations, très variables, dépendant de protéines », indique le Dr Laurent Abel, directeur du Laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses de l’Institut Imagine à l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP) à Paris. Plusieurs milliers de gènes sont ainsi impliqués, qui peuvent s’exprimer de manière différente d’un individu à l’autre, « ce qui explique la très grande variabilité des réponses des individus lorsqu’ils sont confrontés à un virus », ajoute le médecin. Certaines causes acquises peuvent également expliquer cette variabilité. L’immunodéficience liée au VIH, les traitements immunosuppresseurs, l’immunosénescence liée au vieillissement peuvent rendre les réponses immunitaires moins performantes.
Enfin, des mutations génétiques peuvent altérer la fonction de certaines protéines impliquées dans la qualité de la réponse immunitaire et expliquer, notamment, l’apparition de formes sévères de maladies lors de l’infection de patients jeunes (< 50 ans) sans facteurs de risque identifiés. C’est le cas chez certains malades qui développent une encéphalite herpétique après contact avec le virus Herpes simplex (1 personne/50 000). « Nous avons identifié, au sein de notre laboratoire, des mutations au niveau de gènes comme TLR3, TBK1 ou TRAF3 impliqués dans la production d’interférons aplha et bêta qui entraînent une diminution de la production de ces molécules antivirales », précise le Dr Abel. Dans le Covid-19, une partie de ces réactions sévères est provoquée par des réactions inflammatoires disproportionnées, notamment une surproduction d’interleukine-6. « Nous étudions aussi la piste génétique pour tenter d’expliquer cet excès de réaction inflammatoire qui pourrait être lié à des mutations sur certains gènes qui, dans d’autres contextes, induisent une hyperinflammation », ajoute-t-il.
Cheval de Troie et détournement
Le virus joue également un rôle fondamental dans la capacité de l’organisme à développer une immunité efficace, voire durable, et à se débarrasser du pathogène. « Il va chercher à échapper à la détection par le système immunitaire pour, tel un cheval de Troie, se multiplier dans l’organisme », indique Étienne Decroly. Avec des stratégies très variables selon les virus. Ainsi, pour la grippe saisonnière, les épitopes sur lesquels se fixent les anticorps neutralisants se déplacent chaque année de proche en proche, à la faveur de nouvelles mutations, diminuant progressivement la reconnaissance par le système immunitaire les années suivantes. « On peut cependant prévoir d’une année sur l’autre où se feront les mutations les plus probables puisqu’elles ne se décalent que d’un ou deux acides aminés, et produire un nouveau vaccin efficace contre la ou les nouvelles souches circulantes », précise le chercheur. Le VIH, lui, échappe au contrôle de l’immunité humorale en adoptant une conformation qui expose essentiellement des domaines dits « hypervariables aux anticorps », lesquels domaines mutent régulièrement.
Enfin, la réaction immunitaire de l’hôte peut tourner à l’avantage du virus. Lors de l’infection par le virus de la dengue, la production d’anticorps dits « facilitants » pourrait expliquer que les individus ayant fait une première infection sont plus à risque de faire une dengue hémorragique après contact avec une autre souche que ceux n’ayant jamais rencontré le pathogène. Pour entrer dans les cellules de l’immunité, le virus de la rougeole utilise, lui, un récepteur (SLAM) qui n’est exprimé que par les cellules activées. « En déclenchant la réponse immunitaire, il s’offre donc de nouvelles cibles de cellules activées, ce qui lui permet d’envahir l’ensemble du système immunitaire », indique Denis Gerlier, directeur de recherche émérite au Centre international de recherche en infectiologie (Inserm U1111/CIRI) de Lyon. « Avec, in fine, la destruction d’une bonne partie de l’immunité, ce qui favorise la survenue d’autres infections », ajoute-t-il. Dans le Covid-19, de récents travaux ont démontré que les interférons produits lors de l’infection augmentaient l’expression du récepteur d’entrée du virus (ACE2) dans ses cellules cibles, favorisant ainsi la propagation du virus.
Nombreuses zones d’ombre
« L’immunité antivirale est un domaine très complexe dont les mécanismes ne sont pas toujours bien connus », conclut Étienne Decroly. « L’immunité cellulaire, qui joue un rôle majeur dans le contrôle des infections virales, est notamment très compliquée à évaluer d’un point de vue technologique », précise-t-il. Même chose pour les facteurs de susceptibilité, souvent génétiques, de l’immunité innée. « Qui plus est, ce n’est pas parce que l’on a des anticorps que l’on est protégé de l’infection car il existe des anticorps facilitants. Et lorsque l’on a les bons anticorps, ce n’est pas forcément un signe que la protection durera dans le temps », ajoute le chercheur…