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Anatomie d'une négo

Six mois de négo menée tambour battant pour quel résultat ? Le décryptage par la FSPF et la Cnam se tiendra le 8 juin à Deauville, dans un face-à-face programmé au Congrès national des pharmaciens, alors que la signature – ou pas – de l’avenant conventionnel par le syndicat ne sera décidée que la veille au soir.

Par Mélanie Mazière

© adobestock_sergey_nivens

Depuis la signature de la première convention pharmaceutique avec l’Assurance maladie en 2006, la profession a fait sa révolution. Si la délivrance des produits de santé est et restera le cœur de métier, les nouvelles missions élargies dernièrement à la prescription vaccinale et à la dispensation sous protocole d’antibiotiques, tout comme la rémunération décorrélée des volumes et des prix, accentuent le rôle de professionnel de santé du pharmacien. Un statut renforcé par son investissement pendant la pandémie. Mais au sortir de la crise Covid et alors que l’inflation perdure, touchant de plein fouet les professions à tarifs encadrés, l’officine a plus que jamais besoin d’être valorisée à hauteur de son engagement.

Un gros avenant

C’est dans cet état d’esprit que les syndicats et la Cnam ont signé la 3e convention pharmaceutique le 9 mars 2022, après dix années sous le régime de la précédente, reconduite tacitement en 2017 et agrémentée d’une bonne vingtaine d’avenants pour répondre à la révolution opérée par la profession. Une 3e convention ambitieuse concentrée sur le volet métier, dont celui consacré à l’économie du réseau a été reporté au second semestre 2023 dans le cadre d’un gros avenant économique. Le but : laisser retomber les derniers effets de la pandémie pour négocier une rémunération officinale sur des bases saines. « La convention actuelle porte quand même des revalorisations pour l’officine à hauteur de 140 millions d’euros, ce qui n’est pas rien », précise le directeur général de l’Assurance maladie, Thomas Fatôme.
Les représentants de la profession ont planché sans attendre sur le futur avenant économique et, dès janvier 2023, le président de la FSPF, Philippe Besset, a présenté les premières demandes de son syndicat à Thomas Fatôme. Outre la revalorisation des honoraires existants, il suggère la création de rémunérations pour le renouvellement de traitements chroniques, la dispensation protocolisée, les interventions pharmaceutiques et pour soutenir les pharmacies en zone fragile. Une manière pour la FSPF de lancer les discussions sur l’avenant économique et de gagner du temps sur les négociations à venir. La déception sera d’autant plus grande de ne pas voir cette étape s’ouvrir en septembre, en octobre, pas même en novembre, alors que des pharmacies sont à l’agonie. 

« La convention actuelle porte des revalorisations pour l’officine à hauteur de 140 millions d’euros, ce qui n’est pas rien. »Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam

Premier coup de semonce

Les mois passent et la colère monte : pénuries de médicaments, difficultés de recrutement, attractivité en recul, asphyxie administrative, inflation galopante, trésorerie en berne, hausse des incivilités au comptoir, gardes éreintantes… Le 21 novembre, la profession envoie un premier coup de semonce en descendant dans la rue aux côtés des étudiants en pharmacie, toujours dans l’attente – depuis 7 ans - de la réforme du 3e cycle court dite R3C. Aux rentrées de 2022 et 2023, ce sont ainsi 1 500 places qui sont restées vacantes sur les bancs de 2e année de fac de pharmacie. Le mot d’ordre, « se mobiliser aujourd’hui pour exister demain », n’est autre qu’un « cri d’alarme d’une profession à bout et dont le maillage territorial se fragilise », remarque Philippe Besset. Au 15 novembre, l’effectif des pharmacies métropolitaines est descendu sous la barre symbolique des 20 000, soit la perte de 2 000 officines en 10 ans. Une délégation des manifestants du cortège parisien, qui avait choisi le ministère de la Santé comme point d’arrivée du défilé, avait alors été reçue et entendue par son occupant de l’époque, Aurélien Rousseau.

Instabilité gouvernementale

Trois semaines plus tard exactement, celui-ci envoyait la lettre de cadrage des négociations fixant leur ouverture au 19 décembre. Ce mardi matin-là, les partenaires conventionnels passent en revue les orientations décidées à Ségur et définissent le rythme de travail avec une réunion par semaine pendant deux mois sur des thèmes donnés : accompagnements, dépistage, écologie, fraudes, territoires fragiles, pertinence de la délivrance et… évolution de la rémunération. Alors que les syndicats se réjouissent d’entrer – enfin ! - en phase de négociation, Aurélien Rousseau démissionne du gouvernement le 20 décembre. Passées la crainte d’une remise en cause du cadrage ministériel et une certaine lassitude de l’instabilité gouvernementale – sept ministres de la Santé depuis l’élection présidentielle de 2017 – le premier groupe de travail se réunit le 11 janvier, jour de la nomination de Catherine Vautrin à la tête d’un « superministère » regroupant le Travail, la Santé et les Solidarités. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention, est nommé le mois suivant.

Douche froide

Six autres séances suivront pour aboutir à la première session plénière le 5 mars. C’est une douche froide pour les syndicats : l’Assurance maladie ne présente aucune revalorisation des honoraires et renvoie ce point à des réunions ultérieures. C’était pourtant, rappelle Philippe Besset, « la revendication première de la FSPF de revaloriser les honoraires de dispensation qui rémunèrent le cœur de métier ». C’est la seule solution pour « enrayer le décrochage subi par le réseau officinal du fait de l’inflation » et pour « lui donner les moyens d’assurer les missions de santé publique qu’attendent les Français comme les pouvoirs publics ».

« C’est la revendication première de la FSPF de revaloriser les honoraires de dispensation qui rémunèrent le cœur de métier. »Philippe Besset, président de la FSPF

L’appel à la grève

Même si de nombreux points de convergence (lire encadré page 23) existent dans les desiderata des pouvoirs publics et des officinaux, que ce soit sur le développement des biosimilaires, la défense des piliers de la pharmacie, le déploiement des accompagnements patients ou le soutien aux officines en zone fragile, les territoires grondent. Des syndicats départementaux lancent un appel à la grève. Après de nouveaux groupes de travail et une deuxième réunion plénière avec l’Assurance maladie, des revalorisations sont proposées mais n’atteignent pas le montant nécessaire à la survie du réseau, ce pour quoi Philippe Besset a été mandaté par son syndicat : 1 milliard d’euros de plus qu’en 2019, soit 7,8 milliards d’euros dès 2025. Selon les projections de la Cnam, la rémunération du réseau serait de 7,5 milliards en 2025, 7,7 milliards en 2026 et 7,9 milliards en 2027. Pour la FSPF, bien que l’avenant « ne contienne que des éléments positifs pour la profession », il n’en manque pas moins quelques millions de financement.
Alors que la fréquence des échanges et des réunions s’est singulièrement accélérée ces dernières semaines, rythmées par les contre-propositions des partenaires conventionnels, la grève du 30 mai est confirmée et soutenue par toute la profession. Syndicats, groupements, étudiants et même l’Ordre des pharmaciens se mettent en marche partout en France. Outre les négociations en cours sur le volet économique, les revendications sont nombreuses et touchent tant aux pénuries de médicaments qu’à la réforme des études de pharmacie, tant aux craintes d’un assouplissement de la vente de médicaments en ligne qu’aux difficultés d’accès aux soins dans les territoires fragiles. C’est un succès, « une journée historique pour la profession avec 18 000 pharmacies qui ont baissé le rideau et 30 000 pharmaciens qui ont défilé dans les rues ! », lance Philippe Besset.

Face-à-face

Le cortège parisien a battu le pavé jusqu’à Bercy, où le conseiller Professions libérales d’Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Entreprises, accompagné des services de la Direction générale des entreprises (DGE), a reçu une délégation composée des présidents de la FSPF, de l’Uspo, de l’Anepf, de l’UDGPO et de Federgy. Une rencontre de plus de deux heures et demie « où nous avons été écoutés et respectés », souligne Philippe Besset. Preuve que « la manifestation a été utile ». Reste à savoir ce qu’il va advenir d’ici au congrès national des pharmaciens, point culminant de ces six mois de négociations et d’échanges effrénés.
La dernière réunion multilatérale avec l’Assurance maladie a lieu le 5 juin, son ultime proposition d’avenant économique sera présentée le 7 juin à l’assemblée générale de la FSPF, chargée de décider si le syndicat doit y apposer sa signature. « Ma préconisation sera probablement de signer, précise son président, car nous avons des confrères en grande difficulté en zone rurale et ne pas prendre les 20 000 euros proposés par la Cnam pourrait nous amener à perdre quelques dizaines ou centaines d’officines supplémentaires. C’est une très lourde responsabilité. C’est dans ce contexte que je défends l’idée d’une signature de combat. » Un vote qui aura lieu quelques heures avant l’ouverture du congrès à Deauville le 8 juin à 9 heures, et en particulier avant la table ronde sur la convention qui réunira Philippe Besset et Thomas Fatôme, dans un face-à-face très attendu de 11 heures à 12 h 30. Le moment de vérité pour les pharmaciens comme pour l'Assurance maladie.

Des points de convergence

Au fil des réunions, la FSPF et l’Assurance maladie sont parfois parvenus à tomber d’accord. Le syndicat se félicite ainsi de l’enveloppe de 20 millions d’euros débloquée par la Cnam pour soutenir les officines en territoire fragile, à raison de 20 000 euros par an maximum par pharmacie, qui pourrait concerner 1 000 à 2 000 confrères dès 2025. Outre une revalorisation et l’instauration d’un paiement à l’acte pour les entretiens pharmaceutiques, ainsi que la création d’un entretien court opioïdes (5 euros), le syndicat se réjouit d’une hausse de la rémunération des Trod angine et cystite de 6 à 10 euros et surtout de l’apparition d’un acte de dispensation protocolisée à 15 euros. En outre, une Rosp exceptionnelle pour 2024 allant jusqu’à 850 euros pourrait être versée pour l’initation de certaines missions (Trod angine/cystite, entretiens pharmaceutiques) et la hausse de 10 % du nombre de kits cancer colorectal distribués.

Revalorisation : le milliard ?

Les deux syndicats ont travaillé ensemble sur les revalorisations nécessaires au réseau : la rémunération doit augmenter d’un milliard d’euros dès 2025 par rapport à 2019. Soit atteindre une somme globale de 7,8 milliards d’euros. Dans sa proposition chiffrée du 15 mai dernier, la Cnam estimait qu’avec les apports de l’avenant, la rémunération serait de 7,524 milliards d’euros en 2025, 7,721 milliards en 2026 et 7,918 milliards en 2027. Face au rejet des syndicats, une nouvelle proposition de la Cnam, le 23 mai, augmente les revalorisations de 84 millions d’euros mais revoit à la baisse le tendanciel, « à la demande de l’Uspo qui estimait le prévisionnel surévalué », regrette Philippe Besset. Résultat : la rémunération serait de 7,475 milliards d’euros en 2025, 7,629 milliards en 2026 et 7,812 milliards en 2027. Les syndicats ont de nouveau rejeté ce projet et ont fait chacun une contre-proposition, avant d’être reçus individuellement par la Cnam. Aucun élément n’a filtré avant la nouvelle multilatérale prévue le 5 juin.

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