On n’en finit pas de regretter cette bonne vieille vignette pharmaceutique. Un prix en clair, une couleur par prise en charge… quel bonheur ! Dernière mesure encore en souffrance après son extinction programmée pendant le second semestre 2014, le pictogramme représentant le service médical rendu (SMR) de la spécialité sur les boîtes est toujours en gestation. Gestation longue : les premières consultations datent de 2012, dans un rapport sur « la disparition de la vignette pharmaceutique » écrit par un certain Bruno Maquart, dans lequel une mention du « SMR sur la boîte ou la notice » était déjà évoquée. Trois ans plus tard, le même Bruno Maquart est directeur de cabinet de la ministre de la Santé Marisol Touraine et « son » idée de macaron l’a suivi avenue de Ségur. Et puisque la mention du SMR sur les notices est impossible, ces dernières étant chasse gardée des autorités européennes, le SMR sur la boîte « à la française » s’affichera donc sur le conditionnement extérieur du médicament… quand il verra le jour.
Ping-pong réglementaire
Après plusieurs moutures (voir « Le macaron revu et corrigé », Le Pharmacien de France, no 1267), les textes d’application de cette mesure font encore l’objet de critiques de la part des professionnels de santé, pharmaciens en tête, mais aussi et surtout de la part des industriels du médicament. Pour ces derniers, la raison est évidente : noter les médicaments, c’est en déprécier certains. De plus, « l’apposition d’un pictogramme n’est pas prévue par les textes européens, or la France fait partie de l’Europe et ne peut pas, seule dans son coin, édicter des règles dérogatoires sans l’accord de la Commission européenne, fulmine Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (Les Entreprises du médicament). Le SMR est d’ailleurs une spécificité française, il n’existe pas ailleurs ».
« La France ne peut
pas édicter des règles
dérogatoires seule
dans son coin. »
Problématique pour les autorités européennes, qui ont demandé, courant 2014, de remanier le projet. Le macaron était au départ pensé comme un cercle aux bords noirs, divisé en autant de quartiers que la spécialité possédait d’indications. À l’heure actuelle, dans les projets de texte, le macaron ne porte plus qu’une seule couleur, toujours cerclée de noir, celle correspondant au SMR le plus élevé. Mais, au gré des réflexions gouvernementales, c’est aussi la définition des couleurs qui a changé. Au départ vert (SMR important), bleu (modéré), rouge (faible) et noir (insuffisant), les pictogrammes sont devenus début 2015 bleu pour le SMR faible, rouge pour le modéré et… orange pour l’insuffisant. Seul le picto vert (SMR important) a échappé à cette partie de bonneteau.
Efficace ou bien remboursé ?
En choisissant une seule couleur par macaron, les récentes versions des projets de décret et d’arrêté – qui prévoient une mise en application au 1er janvier 2016 – ont également opéré un virage intellectuel en voulant faire coïncider le pictogramme aux décisions sur le remboursement issues de l’Assurance maladie et non à celles de la Haute Autorité de santé (HAS) fixant le SMR. Le tout pour redonner de la lisibilité au dispositif. À ceci près que la couleur orange – choisie au détriment du noir, jugé trop stigmatisant – pour représenter les SMR insuffisants représentait auparavant une prise en charge à 15 %. Les autres couleurs ont également des significations un peu contradictoires pour qui connaît sa Pharmacopée : le vert était auparavant le signe d’un médicament d’exception – information qui a d’ailleurs disparu des boîtes depuis la fin de la vignette – et le rouge signe habituellement un risque inhérent à une spécialité. Sans parler du fait qu’un SMR rouge, modéré, serait meilleur qu’un SMR orange, insuffisant. Incompréhensible du point de vue des patients, habitués à passer au feu vert, à ralentir à l’orange et à piler au rouge.
Problèmes d’illisibilité
Outre le micmac de couleurs, c’est cette confusion entre taux de remboursement et efficacité qui chagrine les pharmaciens : « Tant que le SMR, et non le taux de remboursement, figurera sur le conditionnement, c’est l’efficacité du produit que le patient risque de remettre en cause », remarque la FSPF dans un courrier adressé à Catherine Choma, sous-directrice de la politique des produits de santé à la direction générale de la santé. Le syndicat craint en plus pour la crédibilité de l’automédication : la mesure ne portant que sur les médicaments remboursables, elle laissera les spécialités OTC non remboursables vierges de tout pictogramme… Le Mopral aurait donc bien un picto vert, signe d’un SMR important dans ses indications principales, mais celui-ci disparaîtrait du MopralPro, formulé avec la même molécule au même dosage. Vous avez dit compliqué ?
« Lisibilité », le mot revient dans la bouche de tous les intervenants. Dès le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) de 2012, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pointait que, dans « un souci de compréhension par les patients, il apparaîtrait peu lisible, voire totalement incompréhensible d’indiquer sur le conditionnement d’un médicament dûment autorisé […] que son SMR est en revanche nul ou faible, les notions d’autorisation de mise sur le marché (AMM) et SMR étant assez ténues pour les patients. À ce titre, l’ANSM n’y est pas favorable ». Premiers concernés, les industriels sont vent debout contre la mesure depuis le départ : « Ce n’est pas une réforme de bon sens et les risques sont nombreux : déstabilisation du médecin, mise en difficulté du pharmacien, transfert de prescription vers d’autres médicaments… », assène Philippe Lamoureux, directeur du Leem. Autre argument brandi par les laboratoires : « la réflexion de la part des autorités sur ce pictogramme SMR n’est pas cohérente au moment où sa suppression au profit d’un nouvel indicateur est discutée » (voir encadré ci-dessous « Le SMR, indicateur "obsolète" »). Interrogés, les médecins tempèrent la portée de cette mesure qui, il est vrai, touchera surtout les pharmaciens : « Les gens sont perdus : vont-ils s’intéresser [à ce pictogramme, NDLR] ? Je ne pense pas… et les médecins ne connaissent pas le SMR de tous les médicaments qu’ils prescrivent, assume Claude Leicher, président du syndicat de généralistes MG France. Dans la mesure où un médecin prescrit et justifie ses choix à son patient, quel est le problème ? »
« Pourquoi pas
le portrait du
pharmacien en
filigrane ? »
Même son de cloche du côté de la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF), dont le président Jean-Paul Ortiz préférerait « mieux informer les patients sur l’automédication. Sur une prescription médicale, cela ne ferait que brouiller les pistes ». Les patients justement, qu’on a peu entendus depuis l’éclosion médiatique du sujet en septembre 2013, qu’en pensent-ils ? « Faire figurer le SMR des médicaments sur les boîtes ? Mais il n’y aura bientôt plus de boîtes, puisque tous les médicaments seront dispensés à l’unité… Pourquoi pas le portrait du pharmacien en filigrane ? », s’amuse Christian Saout, membre du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) qui se demande par ailleurs « à qui le SMR va parler ? Ça ajoute de la confusion à une confusion déjà existante. Dès lors qu’un médicament a été prescrit, on peut penser qu’il a été prescrit à bon escient ». Magali Léo, chargée de mission Assurance maladie au Ciss, précise que le Collectif « n’est pas farouchement contre » mais ajoute : « Le SMR peut être faible sur une pathologie non grave mais le médicament efficace. Un médecin peut avoir les meilleures raisons du monde de prescrire un médicament à SMR faible. Et si les patients ne les prenaient plus ? Côté transparence, les informations portées sur le ticket Vitale nous suffisent. » Si même les principaux intéressés ne sont pas convaincus…