N°1373
Septembre-Octobre 2025

Le filon des biosimilaires

L’arrivée en continu de nouveaux médicaments biologiques très onéreux pour la ­collectivité appelle au renforcement de l’utilisation des biosimilaires et à une réelle intégration des pharmaciens d’officine dans ce circuit.

© adobestock_dilok
par Benoît Thelliez
Le 10 juillet 2023

Le projet de loi de financement de la ­sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 va-t-il remettre en jeu les pharmaciens en leur octroyant le droit de substituer plus largement qu’aujourd’hui les biosimilaires ? S’il est encore un peu tôt pour présumer des futurs choix de la représentation nationale, les indicateurs laissent penser que le gisement d’économies que représentent ces médicaments pourrait, cette fois, faire pencher la balance en faveur des officinaux. Un tournant attendu depuis la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2014 accordant aux pharmaciens le droit de substitution d’un médicament biologique en initiation de traitement. Un droit jamais mis en oeuvre faute de décret d’appli­cation et qui sera finalement abrogé dans la LFSS 2020, avant d’être réintroduit selon des modalités plus restrictives dans la LFSS 2022 : seuls certains groupes biologiques seront concernés et des conditions précises définies par ­arrêté pour chacun d’entre eux.

Mise en place progressive

Quinze ans après la première autorisation de mise sur le marché français pour un médicament biosimilaire, l’hormone de croissance Omnitrope (somatropine) de Sandoz, un arrêté paru au Journal officiel du 14 avril 2022 fixe enfin deux molécules substituables en officine : le pegfilgrastim et le filgrastim. Un choix qui a quelque peu étonné en regard des taux de pénétration déjà élevés que présentaient alors ces biosimilaires, soit respectivement 75 et 95 %, mais qui est en grande partie le fruit des recommandations de l’ANSM. Dans son rapport en date de février 2022 et intitulé « État des lieux sur les médicaments biosimilaires », elle propose en effet « une mise en place progressive de la substitution ciblant dans une première étape un nombre limité mais représentatif de médicaments biologiques substituables ». Son objectif est précisément de « garantir la sécurité de dispensation et d’utilisation des médicaments biologiques, l’adhésion des patients et de l’ensemble des professionnels de santé aux conditions et contraintes liées à une possible substitution de médicaments biologiques (médicament de référence ou médicament biosimilaire) ». L’Agence souhaite au final que « cette mise en place progressive de la substitution renforce la formation des pharmaciens et de l’ensemble des professionnels de santé impliqués afin d’assurer dans les meilleures conditions la dispensation de médicaments biologiques ».

Déséquilibre ville/hôpital

Multipliant les précautions, l’ANSM, dont la volonté est que soit évalué « en situation réelle le circuit de prescription et de délivrance suivant une substitution de médicaments biologiques par le pharmacien », préconise donc une ouverture au compte-gouttes des possibilités de substi­tution à l’officine. Bien que la nécessité de cette phase de mise en place n’ait été réellement contestée par personne, l’Assurance maladie, qui a déboursé 1,9 milliard d’euros en 2022 pour les biomédicaments dispensés en ville (dont 680 millions pour les biosimilaires), recommande désormais de passer à la vitesse supérieure. Selon ces mêmes données 2022 qui figurent dans le projet de son rapport annuel sur ses charges et produits, la part des biosimilaires dans leurs groupes biologiques se monte à plus de 84 % en volume pour les produits délivrés dans le circuit hospitalier, mais n’atteint pas les 30 % en ville (hors ranibizumab dont le premier biosimilaire a été lancé en avril 2023). Cette différence conséquente n’est en aucun cas le fruit du hasard et le fort taux de pénétration des biosimilaires à l’hôpital est en grande partie le résultat d’une politique articulée autour de plusieurs mécanismes spécifiques. L’« écart médicament indemnisable » (EMI), un dispositif qui n’est pas spécifique aux biosimilaires, incite ainsi les établissements à négocier les prix les plus bas pour les médicaments de la liste en sus afin de récupérer une partie des économies générées. Le contrat d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins (Caqes), notamment en lien avec les prescriptions hospitalières exécutées en ville (PHEV), intègre quant à lui une prime à la prescription de biosimilaires. Enfin, l’expérimentation menée jusqu’en janvier 2023 dans 63 établissements au titre de l’article 51 accordait un avantage financier à hauteur de 30 % des économies réalisées au sein de trois classes : l’insuline glargine, l’étanercept et l’adalimumab.

« Ce n’est pas la même réflexion
que sur les génériques parce que
les écarts de prix ne sont pas les mêmes. »

Franck von Lennep (DSS)

En ville, on ne recense en revanche pour l’heure que deux dispositifs plus ou moins comparables : l’avenant n° 9 à la convention médicale qui prévoit une rémunération des médecins libéraux à partir du nombre de patients passés d’un médicament biologique référent vers un biosimilaire pendant au moins trois mois parmi cinq classes définies, et la possibilité de substitution accordée aux pharmaciens pour le filgrastim et le pegfilgrastim. Concernant le premier, l’Assurance maladie relève qu’il a eu un impact « variable » selon les molécules concernées, entre un gain de 17,1 points du taux de pénétration pour l’adalimumab et de 3 % pour l’insuline asparte. Si des efforts sont donc attendus vis-à-vis des prescripteurs de ville, c’est sans conteste du côté des pharmaciens d’officine que la marge de progression est la plus importante.

Un horizon qui se dégage

Interrogé le 5 juillet dernier lors d’une conférence organisée par l’agence conseil Nile, le directeur de la Sécurité sociale, Franck von Lennep, a reconnu que les biosimilaires représentaient « des gains réels pour le système de santé » mais a également précisé que ce n’était pas « la même réflexion que sur les génériques parce que les écarts de prix ne sont pas les mêmes ». Une assertion qui pouvait laisser craindre un maintien du statu quo pour les officinaux, vite rassurés par la publication, le lendemain, du rapport « Charges et Produits » de l’Assurance maladie qui porte notamment les propositions et recommandations de l’organisme pour le prochain PLFSS. Reconduisant l’objectif déjà fixé une première fois pour 2022 d’un taux de 80 % de pénétration des médicaments biosimilaires pour 2024, la Cnam estime qu’il faut certes continuer d’augmenter leur primoprescription à l’hôpital, mais constate également que « la substitution par le pharmacien peine à être effective en l’absence d’incitation financière ». Pour y remédier, elle considère nécessaire de mettre en place un dispositif de « tiers payant contre biosimilaires » à l’instar de ce qui existe pour les génériques : si le patient accepte la délivrance d’un biosimilaire, le pharmacien applique le tiers payant et le patient est dispensé de l’avance de frais. En revanche, s’il refuse la délivrance d’un biosimilaire et exige le médicament de référence, il doit alors faire l’avance de frais et ensuite envoyer à sa caisse d’assurance maladie la feuille de soins pour être remboursé. Dans ce cadre, la Caisse souhaite aligner, pour les pharmaciens, la dispensation des biosimilaires sur le principe d’égalité de marge comme c’est déjà le cas pour les médicaments génériques. Il est enfin envisagé que la substitution par les officinaux puisse être « étendue à de nouveaux biomédicaments en lien avec l’ANSM (notamment l’énoxaparine, l’insuline glargine et asparte…) ».

Le sens de l’histoire

À plus grande échelle, l’Agence européenne du médicament (EMA) et le Réseau des chefs d’agences du médicament des 27 États membres (HMA) ont publié un communiqué conjoint, le 21 avril dernier, pour mettre les choses au clair. Rappelant que « les biosimilaires approuvés par l’EMA peuvent être interchangés si les règles nationales le permettent » et qu’il n’y a « aucun ­problème d’un point de vue scientifique » à le faire, les deux autorités ont cependant admis qu’elles n’avaient jusqu’alors émis aucune recommandation en ce sens et que cela « avait été identifié comme un facteur générant de l’incertitude ». Elles tiennent dès lors à se positionner très officiellement en faveur des biosimilaires et de leur substitution.

« On ne peut pas faire autrement, à terme,
que d’aller vers une vraie substitution par
le pharmacien comme pour les génériques. »

Dominique Deplanque, président de la SFPT

Un point de vue partagé par ­Dominique Deplanque, le président de la ­Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) qui rappelle qu’« à la différence d’un générique, un biosimilaire doit montrer une efficacité identique au médicament de référence. Compte tenu de la similarité sur la qualité, sur la sécurité et sur l’efficacité, le fait que l’on ne puisse pas substituer, ou uniquement à l’initiation du traitement, est très discutable ». Selon lui, « il faut certainement regarder au cas par cas, notamment lorsque le dispositif d’administration est très différent entre deux spécialités car c’est un frein potentiel pour les patients ». Quoi qu’il en soit, « si l’on ouvre la mise sur le marché de biosimilaires, c’est bien pour des aspects économiques. On ne peut pas faire autrement, à terme, que d’aller vers une vraie substitution par le pharmacien comme pour les génériques ».

Un gisement gigantesque

Les médicaments biologiques représentent 35 % des dépenses pharmaceutiques en Europe, avec un taux de croissance annuel au cours de la période 2016-2022 près de deux fois supérieur à celui du marché total des médicaments au sein de l’Union. Réalisé par Iqvia et paru en avril 2023, le rapport du laboratoire Sandoz dont sont issues ces données montre également qu’en France, les économies générées par un taux de pénétration des biosimilaires de 80 % se monteraient à environ 100 millions d’euros par an à un ­horizon assez court. Entre 2012 et 2022, les économies cumulées liées à ces molécules se situeraient quant à elles aux alentours de 2,4 milliards d’euros, en forte ­accélération ces cinq dernières années du fait du doublement du nombre de médicaments biologiques référents concernés par le lancement de biosimilaires.

Une position à contre-courant

Concernant l’intervention des pharmaciens d’officine dans le processus de substitution, quelques voix dissonantes se font entendre. Ainsi le think tank « Biosimilaires », qui regroupe les laboratoires Accord, Amgen, Biogen et Sandoz ainsi que six associations de patients tient-il une position beaucoup moins ouverte que la Cnam. Selon lui, « la substitution des médicaments biosimilaires est une fausse bonne idée, qu’elle soit réalisée en initiation ou en cours de traitement » car elle peut « avoir un impact négatif pour les patients et [n’en] a pas nécessairement […] pour les comptes publics ». Un propos bien pessimiste qui ne ménage pas la profession officinale en alléguant notamment que cette substitution « est contraire au principe de décision médicale partagée ».

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