N°1368
Mars 2025

Bêtes de sciences

Les études scientifiques qui s’intéressent au comportement ou à la biologie des animaux font également avancer la recherche en santé humaine.

© adobestock_pict rider
par Hélène Bry
Le 18 juin 2024
  • 🇺🇸 États-Unis

    Des loups armés contre le cancer

    Cara Love, biologiste de l’évolution et écotoxicologue au Laboratoire de Shane Campbell-Staton à l’Université de Princeton, se passionne depuis dix ans pour l’étude des loups vivant dans la zone d’exclusion de Tchernobyl (ZEC) en Ukraine. Son but : comprendre comment ils prospèrent depuis 35 ans malgré des générations d’exposition aux radiations. En 2014, elle et ses collègues se rendent dans la ZEC, équipent des loups de colliers GPS armés de dosimètres, puis prélèvent des échantillons de sang. Les relevés montrent que les loups sont exposés à plus de 11,28 millirems de radiations par jour pendant toute leur vie, soit plus de six fois la limite légale de sécurité pour un travailleur humain. Mais ils font une autre découverte plus étonnante : contrairement à leurs congénères vivant à l’extérieur de la ZEC, ces canidés présentent un système immunitaire altéré, comparable à celui de patients cancéreux sous chimiothérapie. En outre, les chercheurs ont identifié des régions spécifiques du génome de ces loups qui seraient résistantes au risque de cancer. Exposés à des radiations cancérigènes, ces loups ont développé des mutations protectrices vis-à-vis du cancer. Love a présenté son travail lors de la réunion annuelle de la Society for Integrative & Comparative Biology (SICB) à Seattle en janvier 2024. Bien que la crise Covid puis la guerre en Ukraine ont, pour le moment, empêché les scientifiques de retourner dans la ZEC, ils ne perdent pas espoir d’en découvrir plus sur ces loups mutants.

  • 🇬🇧 Royaume-Uni

    Baleine et ménopause

    La recherche sur l’histoire évolutive de la ménopause a été limitée par la rareté de ce trait dans les populations sauvages. Chez les primates, la ménopause n’a évolué que dans une branche, celle des humains. Mais une autre espèce de mammifères offre une opportunité unique d’étudier la ménopause dans un contexte comparatif : la baleine à dents. Chez cet odontocète, elle a évolué au moins quatre fois. Des biologistes de l’Université d’Exeter, qui publient le 13 mars 2024 dans Nature, ont voulu comprendre la raison d’être de la ménopause chez la baleine pour mieux la cerner chez la femme. Car si l’on connaît depuis longtemps ses mécanismes, une chute d’œstradiol, on ignore pourquoi les femmes ne peuvent plus concevoir après un certain âge. Les auteurs ont ainsi observé une augmentation de la durée de vie des baleines ménopausées au cours de l’évolution, sans que ne soit écourtée leur période reproductive. Cette vie post-reproductive prolongée servirait l’aide « intergénérationnelle », pour que les aînées prennent soin de leur groupe social. « Lorsque les mères et les filles d’un même groupe tentent de se reproduire en même temps, il existe un risque de conflit sur les ressources, car elles souhaitent toutes les deux donner la priorité à leur propre progéniture. En arrêtant de se reproduire, les femelles minimisent ce conflit », note Darren Croft. Les auteurs ajoutent que, pour mieux cerner la ménopause humaine, il faudra que les femmes âgées cessent d’être « trop souvent ignorées dans les politiques publiques et la recherche médicale ».

  • 🇬🇧 Royaume-Uni

    Réservoir humain

    Une étude révèle que les humains transmettent davantage de virus aux autres animaux que l’inverse. Les chercheurs de l’University College de Londres, qui ont publié le 25 mars 2024 dans Nature Ecology & Evolution, ont analysé 12 millions de séquences génomiques virales et les métadonnées des hôtes associés hébergés sur le serveur du National Center for Biology Information.
    Ils ont également passé en revue 59 000 séquences isolées de virus infectant différents vertébrés et ainsi pu retracer les sauts d’hôtes de 32 familles virales différentes. Leur constat est que les transmissions anthroponotiques sont deux fois supérieures aux zoonotiques ! Et cette transmission d’humains à animaux n’est pas sans conséquence pour notre espèce : « Lorsque les animaux contractent des virus provenant des humains, cela peut non seulement leur nuire et potentiellement constituer une menace pour leur conservation, mais également causer de nouveaux problèmes pour les humains, comme un impact sur la sécurité alimentaire si, par exemple, un grand nombre d’animaux doit être abattu pour prévenir une épidémie », explique Cedric Tan de l’University College et du Francis Crick Institute.

  • 🇯🇵 Japon

    Un souriceau à 2 papas

    Des chercheurs japonais, dont l’étude a été publiée dans Nature le 15 mars 2023, ont permis la naissance de souriceaux à partir de 2 mâles. L’avancée réside dans le fait d’avoir réussi à convertir des cellules souches de souris mâles pour qu’elles produisent des ovocytes fonctionnels. Des cellules de peau de la queue de souris mâles matures ont été prélevées puis reprogrammées en cellules souches pluripotentes induites (cellules souches embryonnaires) mises en culture. Les chercheurs ont exploité le phénomène de l’aneuploïdie (nombre anormal de chromosomes dans la cellule). La répétition des cycles de division cellulaire a eu pour conséquence la perte du chromosome Y dans environ 6 % des cellules cultivées. Ces dernières, dites X0, ont alors été traitées par de la réversine, une molécule interférant avec la division cellulaire, pour favoriser la duplication du chromosome X et aboutir à des cellules XX. Les ovocytes ainsi créés ont été fécondés par des spermatozoïdes provenant d’un autre mâle et les embryons obtenus, implantés dans l’utérus d’une souris porteuse. In fine, 7 embryons sur 630 implantés ont donné naissance à des souriceaux. « Cette étude offre des perspectives qui pourraient améliorer la stérilité causée par des troubles des chromosomes sexuels ou autosomiques et ouvre la possibilité d’une reproduction bipaternelle », avancent les auteurs.

  • 🇺🇸 États-Unis

    Laissez les chauves-souris en paix !

    Un collectif de 25 scientifiques, qui a publié le 26 mars 2024 dans Nature Communications, a scruté le lien entre le développement des pandémies et le comportement de la vie sauvage. Leur constat est sans appel : plus les animaux sauvages sont stressés, plus leurs comportements changent et plus le risque de pandémie augmente. Lorsqu’ils sont perturbés, ils fuient en effet vers un nouvel emplacement et, en se déplaçant ainsi vers des zones où ils n’étaient pas censés vivre, produisent de nouvelles interactions entre animaux mais aussi avec les humains. Un phénomène qui potentialise la propagation des virus. L’étude ne fait pas que constater, elle pointe également l’urgence de protéger la vie sauvage, en particulier les chauves-souris qui n’hésitent pas à modifier leur trajectoire de migration si elles sont dérangées, ou leur habitat dégradé. Les chiroptères vont alors chercher la paix ailleurs, et peuvent se retrouver dans des zones agricoles ou des villes, infectant potentiellement les animaux de ferme et les humains. Sachant que la plupart des pandémies virales des dernières années – SARS-CoV-1,SARS-CoV-2, Nipah, Hendra et probablement Ebola – sont toutes liées aux chauves-souris, il est vital pour nous de les laisser tranquilles !

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