N°1373
Septembre-Octobre 2025

Les souvenirs, toute une science !

De récentes découvertes éclairent le fonctionnement de la mémoire et la manière dont se forment les souvenirs.

Le_Pharmacien_de_France
© adobestock_Mariia
par Hélène Bry
Le 01 juillet 2025
  • 🇺🇸 États-Unis

    Un souvenir ne chasse pas l’autre

    Le rôle du sommeil est primordial dans la consolidation des souvenirs : lorsque nous dormons, notre cerveau rejoue les expériences vécues et renforce les connexions neuronales qui y sont associées. Mais la question demeurait de savoir comment les nouveaux souvenirs n’effaçaient-ils pas les plus anciens. Des neurobiologistes de l’Université Cornell pensent avoir découvert la réponse. Les auteurs de l’étude parue dans Nature le 1er janvier 2025 ont « développé une méthode pour enregistrer simultanément de grands ensembles hippocampiques et surveiller la dynamique du sommeil par pupillométrie chez des souris endormies naturellement ». Ils ont d’abord observé, lors du sommeil lent, que les pupilles des rongeurs endormis changeaient de taille selon des cycles d’environ une minute. Grâce à l’identification des schémas d’excitation neuronale liés à la découverte de nouveaux environnements lors de la période d’éveil, ils ont ensuite pu établir que la phase des pupilles contractées correspondait au traitement des nouveaux souvenirs et celles des pupilles dilatées, aux plus anciens. Cette alternance rythmique très rapide permettrait à l’encéphale de gérer le flux constant d’informations tout en préservant l’intégrité des souvenirs anciens et de créer des liens entre ces expériences. Les chercheurs sont optimistes sur la transposition à l’homme et cette découverte pourrait notamment avoir des implications dans le traitement de pathologies comme Alzheimer.

  • 🇫🇷 France

    Anti-seiches

    La formation de « faux souvenirs » est un phénomène connu et déjà éprouvé par tous. Il intervient notamment lorsqu’une donnée qui n’appartient pas au souvenir que l’on convoque vient se glisser par erreur au milieu de tous les fragments stockés séparément dans le cerveau qui, recombinés entre eux, forment le souvenir en question. Observé chez de nombreuses espèces, ce mécanisme, qui peut être induit à dessein, ne l’avait pourtant jamais été chez les invertébrés que l’on pensait dépourvus de cette capacité. L’étude, menée par une équipe de l’Université de Caen Normandie et parue dans iScience le 17 juillet 2024, montre pourtant que les céphalopodes ont passé les tests haut le tentacule ! « Nous avons montré que des seiches peuvent former de faux souvenirs lorsqu’elles sont exposées successivement à deux événements qui ont de nombreux points communs. Ainsi, une partie d’entre elles pense avoir vu des crevettes (leur nourriture préférée) dans un tube qui, pourtant, était précédemment vide. L’expérience montre qu’il ne s’agit pas d’un défaut de mémoire mais bien d’un faux souvenir, car lorsque le second événement n’est pas trompeur, elles ne commettent pas d’erreur », note Christelle Jozet-Alves, à la tête de cette expérimentation. Cette découverte ouvre des voies sur l’étude des mécanismes de la mémoire complexe, y compris chez les animaux. Car « la formation de faux souvenirs n’est pas simplement le signe d’une erreur de mémoire ». Elle montre que « les seiches n’encodent pas les événements de manière linéaire, mais les reconstruisent en associant diverses caractéristiques présentes lors de l’événement original. Ces erreurs pourraient être les premiers indices de la présence de processus reconstructifs dans la mémoire des céphalopodes ».

  • 🇺🇸 États-Unis

    Amnésie infantile

    Des psychologues américains, qui publient dans Science le 20 mars 2025, ont montré que des souvenirs de la prime enfance sont bien stockés dans le cerveau. L’étude a porté sur 26 bébés âgés de 4 mois à 2 ans à qui l’on présentait, sous IRM, la photo d’un nouveau visage, objet ou paysage avant que cette image ne leur soit soumise très peu de temps après, en même temps qu’une autre, inédite. Il a alors été observé que les enfants s’attardaient plus longtemps sur la photo déjà vue et affichaient une forte activité neuronale au niveau de la partie postérieure de l’hippocampe, zone cérébrale considérée chez les adultes comme le siège de la mémoire autobiographique. Une preuve que le bébé mémorise bien ses expériences sensorielles. Mais à une nuance près : ce constat ne vaut qu’après 12 mois. Quoi qu’il en soit, le fait que l’on ne puisse pas accéder consciemment à ces souvenirs une fois adulte n’a pas encore été expliqué. Première hypothèse : ils ne seraient, en fait, pas stockés dans la zone correspondant à la mémoire à long terme. La seconde, privilégiée par les chercheurs, suppose qu’ils deviennent inaccessibles par le biais d’un mécanisme encore inconnu. Des biologistes ont en effet réussi à réactiver des souvenirs de prime jeunesse chez des rongeurs, via des techniques de modification de protéines et de prise de contrôle de l’activité cellulaire, des méthodes inapplicables sur des humains pour des raisons éthiques. On peut d’ailleurs se demander s’il serait souhaitable de court-circuiter ce mécanisme naturel d’amnésie infantile.

  • 🇺🇸 États-Unis

    Briser l’ADN pour se souvenir

    Une équipe dirigée par Jelena Radulovic de l’Albert Einstein College of Medicine à New York, a publié le 27 mars 2024 dans Nature une étude révélant un fait surprenant : lorsqu’un souvenir à long terme se forme, certains neurones subissent une activité électrique si forte qu’elle brise leur ADN. S’ensuit une réponse inflammatoire qui vient réparer les dégâts et se traduit par une consolidation mémorielle. Pour mettre en évidence ce mécanisme, les auteurs ont habitué des souris à associer à un nouvel environnement une petite décharge électrique. Replacées dans ce contexte, elles se souviennent de l’association et montrent des signes de peur. En analysant le profil d’expression génique des neurones de leur hippocampe, ils ont observé deux phénomènes intervenant en réponse à l’apprentissage par conditionnement : des cassures dans l’ADN de ces neurones et une hausse de l’expression du gène TLR9 qui code pour une protéine connue afin d’activer le système immunitaire inné quand il rencontre de l’ADN hors du noyau. Les chercheurs ont ensuite répété l’expérience en supprimant TLR9 dans les neurones de l’hippocampe des souris et ont constaté qu’elles ne craignaient plus l’environnement associé au choc électrique : elles n’avaient plus aucun souvenir de cette association. Ces résultats suggèrent que la mémorisation à long terme implique un processus de cassure puis de réparation de l’ADN grâce à un gène activant une réponse immunitaire. Ils ouvrent de nouvelles pistes de compréhension de certaines maladies neurodégénératives comme Alzheimer.

  • 🇺🇸 États-Unis

    Des souvenirs plein le corps !

    « L’apprentissage et la mémoire sont généralement associés au cerveau et aux cellules cérébrales seules, mais notre étude montre que d’autres cellules du corps peuvent également apprendre et former des souvenirs. » Cette affirmation de Nikolay V. Kukushkin, auteur principal de l’étude menée par une équipe de l’université de New York et parue dans Nature Communications le 7 novembre 2024, ouvre de nouvelles perspectives. Pour aboutir à cette conclusion, les chercheurs ont exposé en laboratoire deux types de cellules humaines non cérébrales (nerveuses et rénales) à différents schémas de signaux chimiques, non sans les avoir préalablement modifiées afin d’associer un marqueur fluorescent à un « gène mémoire » (celui qui est activé dans les cellules cérébrales lorsqu’elles doivent enregistrer une information). L’exposition de ces dernières à des neurotransmetteurs a donné des résultats spectaculaires : elles se sont mises à briller, montrant qu’elles activaient le fameux gène mémoire comme le font les neurones spécifiques du cerveau. De plus, la luminosité (qui reflète le niveau d’activation du gène) était plus intense et durait plus longtemps lorsque les impulsions de neurotransmetteurs étaient répétées à intervalles échelonnés. « Cela montre que la capacité d’apprentissage par répétitions espacées n’est pas propre aux cellules cérébrales, mais pourrait être une propriété fondamentale de toute cellule », explique Nikolay V. Kukushkin. Cette découverte suggère qu’« à l’avenir, nous devrons traiter notre corps davantage comme le cerveau : par exemple en tenant compte de ce que notre pancréas mémorise de nos repas passés pour maintenir une glycémie saine, ou de ce qu’une cellule cancéreuse mémorise de la chimiothérapie ».

Partager ce contenu
À lire aussi
Une atmosphère viciée augmente-t-elle la survenue de troubles psychiques ?
La métropole a connu en 2025 un nombre inédit de cas importés et autochtones de chikungunya et de dengue, rendant pal...
Peut-on améliorer sa vision de près par instillation oculaire ?
Bienvenue sur le nouveau site du Pharmacien de France !

Vous êtes déjà abonné ?
Connectez-vous pour mettre à jour vos identifiants :

 

Vous n’êtes pas encore abonné ?
Rejoignez-nous !