Accueil / Santé / International / Les superpouvoirs du sommeil
Aussi vital que la respiration ou la digestion, le sommeil est doté de pouvoirs insoupçonnés que les chercheurs n’ont de cesse de découvrir.
🇩🇰 Danemark
Cerveau autonettoyant
Le sommeil est la forme la plus aboutie du repos, ce qui n’empêche en rien le cerveau de rester actif : il consolide les apprentissages, trie les souvenirs… et se débarrasse des déchets accumulés pendant la phase d’éveil. Une étude menée par des chercheurs de l’université de Copenhague et du Centre médical de l’université de Rochester (États-Unis), parue dans Cell le 6 février 2025, a exploré le « nettoyage cérébral » assuré par le système glymphatique. Ce flux a été décrit pour la première fois en 2013 par la neuroscientifique Maiken Nedergaard, qui fait partie des auteurs de cette nouvelle étude chez la souris. L’équipe cherchait à comprendre comment le liquide céphalo-rachidien circule dans le système glymphatique pour réaliser ce nettoyage cérébral. Lors du sommeil profond, une région du cerveau appelée locus cœruleus libère des impulsions de noradrénaline, un neurotransmetteur impliqué dans l’éveil, toutes les 50 secondes environ. Cela provoque un rétrécissement des vaisseaux sanguins pour laisser place au liquide céphalo-rachidien, qui est ensuite évacué lorsque le taux de noradrénaline baisse et que les vaisseaux sanguins se regonflent. Autrement dit, ces mouvements rythmiques des vaisseaux sanguins agissent comme une pompe permettant une meilleure circulation du liquide céphalo-rachidien et aident à évacuer les toxines. Outre la mise en lumière de ce mécanisme autonettoyant du cerveau, l’étude a également démontré que le zolpidem, prescrit en cas d’insomnie sévère, supprime les oscillations provoquées par la noradrénaline et donc le flux glymphatique. Cela suggère que la prise de ce somnifère pourrait interférer avec le nettoyage du cerveau et conférer un sommeil moins réparateur… en tout cas chez la souris.
🇺🇸 États-Unis
Dormir pour guérir
Un sommeil sain et réparateur doit être intégré dans la prise en charge post-infarctus. C’est ce que démontre une étude publiée dans Nature le 30 octobre 2024 par des chercheurs de l’école de médecine Icahn du Mont Sinaï à New-York. Les auteurs ont constaté une augmentation du sommeil profond chez des souris ayant subi un infarctus (induit en ligaturant l’une des coronaires). Durant les 7 jours suivants, les rongeurs roupillaient presque 2 fois plus que ceux ayant eu une fausse chirurgie. Le sommeil profond a permis de diminuer l’inflammation et de participer grandement à la guérison. En revanche, lorsqu’il a été perturbé, voire empêché, cela a accru l’inflammation, entraîné des tachycardies, détérioré la fonction cardiaque, nui à la guérison… et, en l’espèce, fait grimper le taux de mortalité chez les souris. Des observations comparables ont été faites chez l’humain, en l’occurrence chez 78 patients se remettant d’un syndrome coronarien aigu, dont la qualité du sommeil a été relevée pendant les 4 semaines post-infarctus et qui ont été suivis 2 ans. Résultat : ceux ayant bénéficié d’un sommeil réparateur voyaient leur fonction cardiaque s’améliorer dans les mois suivants, mais pas les mauvais dormeurs qui, de surcroît, présentaient deux fois plus de risque d’avoir un nouveau problème cardiovasculaire au cours du suivi. « Cette étude est la première à démontrer que le cœur régule le sommeil après un événement cardiovasculaire en utilisant le système immunitaire pour communiquer avec le cerveau », se réjouit Cameron McAlpine, l’un des auteurs. Les chercheurs ont ainsi mis en évidence que le cœur envoie des monocytes de la circulation sanguine vers le cerveau qui sont alors reprogrammés pour stimuler le sommeil profond et activer la guérison. Un processus déclenché dans les heures qui suivent l’infarctus du myocarde et qui n’a pas été retrouvé chez les souris saines.
🇺🇸 États-Unis
Le sommeil profond, protecteur de mémoire
Une étude menée par des chercheurs des universités de Californie (à Berkeley et à Irvine) et de Stanford, a scruté le cerveau et le sommeil de 62 adultes âgés, « cognitivement normaux », recrutés au sein de la Berkeley Aging Cohort Study (BACS). La moitié d’entre eux présentaient des plaques bêta-amyloïdes, caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. Publiée le 3 mai 2023 dans BMC Medicine, l’étude montre que les participants ayant ces marqueurs cérébraux d’Alzheimer mais bénéficiant d’un sommeil profond de qualité réussissaient mieux les tests de mémoire. Pour l’un des auteurs, le professeur de neuroscience et de psychologie Matthew Walker (UC Berkeley), cette découverte pousse à considérer « le sommeil profond comme un gilet de sauvetage qui maintient la mémoire à flot, l’empêchant d’être entraînée vers le fond par le poids des pathologies liées à Alzheimer ». Même si les chercheurs reconnaissent les « limites importantes » de leur étude, en particulier le choix d’une « cohorte relativement saine, ce qui limite la généralisation à l’ensemble de la population âgée ou aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer », ils se réjouissent néanmoins d’avoir réussi à démontrer « qu’un facteur de réserve cognitive nouveau et inexploré face à la charge de ß-amyloïde est le sommeil, et plus particulièrement la qualité du sommeil nocturne profond ». Une bonne nouvelle dans le sens où, « contrairement à de nombreux autres facteurs de réserve cognitive (comme les années d’études ou la complexité des emplois antérieurs), le sommeil est un facteur modifiable ». Il s’agit donc d’une « cible thérapeutique prometteuse ».
🇫🇷 France
L’effet eurêka
L’endormissement interrompu pour booster la créativité ? C’est ce que suggère une étude menée par des chercheurs de l’Inserm et de Sorbonne Université au sein de l’Institut du cerveau et du service des pathologies du sommeil à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), parue dans Science Advances le 8 décembre 2021. L’équipe s’est appuyée sur la légende selon laquelle Thomas Edison faisait des micro-siestes en tenant des boules métalliques à la main, sphères qui tombaient bruyamment dès qu’il s’endormait et l’éveillaient juste à temps pour capturer des idées novatrices. Afin de déterminer l’effet de la phase d’endormissement sur la créativité, les chercheurs ont proposé à 103 participants des problèmes de mathématiques, tous résolubles quasi instantanément grâce à une règle cachée. Après en avoir éliminé 16 qui ont tout de suite trouvé l’astuce, les autres ont été invités à faire une sieste de 20 minutes avec un objet à la main avant de repasser les tests. Résultat : ceux qui passaient au moins 15 secondes dans la première phase du sommeil triplaient leurs chances de trouver la règle (83 % contre 30 % chez ceux qui sont restés éveillés). Un « effet eurêka » qui « disparaissait si les sujets plongeaient plus profondément dans le sommeil », remarque Célia Lacaux, coauteure. Il existerait donc bien une phase propice à la créativité lors de l’endormissement. « Le sommeil est souvent vu comme une perte de temps et de productivité. En montrant qu’il est essentiel à nos performances créatives, nous espérons réhabiliter son importance », précise Delphine Oudiette, coauteure. La neuroscientifique a décroché un financement européen pour explorer l’endormissement à travers son projet Creadoze, démarré fin 2023. « S’il est possible d’identifier des signaux cérébraux qui indiquent la proximité de la bascule dans le sommeil, ou au contraire, celle d’un retour à l’état éveillé, il doit être possible d’apprendre à les repérer et à les contrôler », ajoute-t-elle.
🇫🇷 France
Dialoguer avec les rêveurs
Delphine Oudiette, chercheuse Inserm à l’Institut du cerveau (Paris), en collaboration étroite avec Isabelle Arnulf et Lionel Naccache de Sorbonne Université/AP-HP, a réussi à démontrer que la frontière entre veille et sommeil est bien plus poreuse qu’il n’y paraît. Ils ont recruté 22 sujets sains et 27 narcoleptiques. Tous ont été invités à faire une sieste. Une fois endormis, les chercheurs leur ont fait passer un test de « décision lexicale » au cours duquel une voix humaine énonçait une série de mots existants et de mots inventés. Les participants, suivis par polysomnographie, devaient y réagir en souriant ou fronçant les sourcils pour les classer dans l’une ou l’autre catégorie. Résultat : la plupart, narcoleptiques ou non, ont répondu correctement aux stimuli verbaux tout en restant endormis. Ces observations, publiées le 12 octobre 2023 dans Nature Neurosciences, questionnent la définition même du sommeil. « Nos résultats suggèrent que des fenêtres transitoires de réactivité aux stimuli existent pendant le sommeil, même chez les individus sains. De telles fenêtres pourraient ouvrir la voie à une communication en temps réel avec les dormeurs afin d’expliquer les processus mentaux et cognitifs liés au sommeil », rêvent les auteurs.
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