N°1368
Mars 2025

Prix Nobel de l’absurde

Alors que les (vrais) Nobel, dont les pionniers de l’ARNm, sont allés chercher leur distinction en Suède le 10 décembre, la version loufoque du prix, les Ig Nobel, a remis les siens. Des études gratinées, mais étayées, à savourer avec le sourire.

par Hélène Bry
Le 26 décembre 2023
  • 🇺🇸 États-Unis

    Prix de génie mécanique

    Branche méconnue de la robotique, la nécrobotique utilise les propriétés d’animaux et d’insectes avec la particularité de faire appel à ces créatures une fois
    mortes. Une étude parue le 25 juillet 2022 dans Advanced Science raconte comment des ingénieurs de la Rice University à Houston (Texas) ont eu l’idée d’utiliser des araignées-loups, préalablement euthanasiées par congélation, comme pinces robotiques pour agripper et soulever des objets.
    Comprendre la manière singulière dont bougent ces arachnides de leur vivant aide à cerner le but de cette étrange expérience : ils actionnent leurs membres à l’aide de mécanismes hydrauliques. Une chambre près de leur tête se contracte pour envoyer du sang vers les pattes, les obligeant à s’étendre. Un fois la pression relâchée, ces membres se contractent et se replient tel un grappin. Dans l’expérience avec les araignées mortes, de l’air a été introduit via une aiguille dans la petite cavité ce qui a eu pour effet d’ouvrir les pattes. Puis, en diminuant la pression, elles se sont refermées, semblables à une puissante pince qui a pu soulever plus de 130 % du poids du corps de l’arthropode.
    « Ce domaine de la robotique souple (soft robotics) est très amusant car nous pouvons utiliser des types d’actionnements et de matériaux jusqu’alors inexploités », s’extasie Daniel Preston, coauteur de l’étude destinataire du prix de génie mécanique des Ig Nobel.

  • 🇺🇸 États-Unis

    Prix de médecine

    Voici une étude qui devrait passer aux fanatiques de la pince à épiler l’envie de faire la chasse aux poils de nez ! Le prix de médecine a en effet récompensé
    une équipe qui s’est mis en tête de compter leur nombre dans les narines de cadavres et de chercher à déterminer si les deux cavités comportent le même nombre de poils.
    Les chercheuses en dermatologie, qui ont publié leurs travaux dans l’International Journal of Dermatology du 12 octobre 2021, en sont arrivées à se poser cette question en étudiant l’alopécie, une affection dermatologique caractérisée par la perte soudaine et inattendue des cheveux pouvant également affecter les cils, sourcils et autres poils nasaux. Le résultat de leurs drôles de comptes, effectués sur quelque 20 cadavres, a révélé qu’en moyenne la narine gauche semble contenir un peu plus de poils (120) que la droite (112). Concernant les personnes souffrant d’un déficit en poils de nez, les chercheurs ont aussi pu relever un fait très intéressant : elles sont plus sujettes aux infections des voies respiratoires supérieures, aux allergies et à la sécheresse, confirmant ainsi le fait que ces poils ont un pouvoir protecteur des voies aériennes.

  • 🇺🇸 États-Unis

    Prix posthume

    Il n’est jamais trop tard pour gagner un Ig Nobel, même à titre posthume. C’est ce qui est arrivé à Stanley Milgram, célèbre pour sa bouleversante expérience sur l’obéissance à l’autorité. Souvenez-vous : un enseignant (le vrai cobaye) devait envoyer des décharges électriques de plus en plus fortes à un élève dès qu’il se trompait dans ses réponses, sous l’autorité d’un expérimentateur très sûr de lui. Cette expérience, qui intervenait dans les années 1960 après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, visait à montrer les mécanismes de la soumission aveugle à l’autorité.
    Ce sont d’autres travaux de Milgram, plus légers mais tout aussi moutonniers, qui viennent de recevoir les honneurs des Ig Nobel. Réalisée en 1968, cette « Note sur le pouvoir d’attraction des foules de différentes tailles » consignée en 1969 dans le Journal of Personality ans Social Psychology, révèle la puissance d’influence des foules. Menée dans les rues de New York, l’étude comprenait plusieurs groupes de volontaires (allant d’une seule personne à des groupes
    de 2, 3, 5, 10 et 15 piétons) qui avaient ordre de s’arrêter dans la rue et de lever le nez vers le haut d’un immeuble pendant 60 secondes avant de se disperser. Au total, 1 424 badauds se sont retrouvés spontanément enrôlés dans cette expérimentation qui a révélé ceci : si un seul piéton regarde en l’air, il ne se passe pas forcément grand-chose. Mais à mesure que le nombre de volontaires levant les yeux prend de l’ampleur, une proportion plus grande de passants fait de même. Présents à la cérémonie virtuelle des Ig Nobel, les chercheurs en psychologie Leonard Bickman et Lawrence Berkowitz étaient très émus de recevoir ce prix de psychologie pour cette expérience menée à l’époque avec leur regretté camarade.

  • 🇯🇵 Japon

    Prix de nutrition

    Électriser des baguettes et des pailles pour modifier le goût des aliments ? Il fallait y penser ! Une idée farfelue qui ne pouvait pas éternellement échapper aux experts des Ig Nobel. Ces derniers ont en effet fini par dénicher une étude de chercheurs japonais intitulée « Gustation augmentée grâce à l’électricité » parue en mars 2011 dans les « Actes de la 2e Conférence internationale sur l’humain augmenté ». Dans ces travaux, les scientifiques ont imaginé accroître la gustation et le nombre de goûts perceptibles d’aliments grâce au « goût électrique » qu’ils définissent comme « la sensation provoquée par la stimulation de la langue par un courant électrique ».
    Ils ont ainsi découvert qu’électriser légèrement des baguettes ou une paille pouvait modifier le goût perçu des aliments car ils contiennent des électrolytes pouvant conduire le courant. L’un des chercheurs présents à la cérémonie a comparé la sensation gustative au fait de lécher une pile de 9 volts ! Voilà qui ne fera pas forcément saliver les gourmets… mais peut-être les diététiciens. Les scientifiques ont en effet un argument en défense de leurs étranges travaux :
    leur invention est de nature à rehausser le goût de plats faibles en sodium permettant ainsi de réduire la quantité de sel dans nos repas.

  • 🇰🇷 Corée du Sud

    Prix de santé publique

    Aller aux toilettes, c’est une affaire sérieuse pour Park Seung-Min… Ce chercheur sud-coréen, aujourd’hui rattaché à l’université de Stanford (États-Unis), a mis au point des petits coins grandement techno, qui compilent à long terme – et avec force détails ! – tout ce qui atterrit dans la cuvette des toilettes. Grâce à divers capteurs, ces latrines ultramalignes scrutent l’urine et son volume, prennent des photos pour surveiller et analyser en un clin d’œil les substances excrétées par les humains et les classent selon l’échelle de Bristol (qui distingue sept types de selles humaines). Si le scientifique fait une telle fixette sur les toilettes c’est parce qu’il est convaincu que l’étude poussée de l’urine et des déjections permet notamment de détecter précocement certaines maladies. « Regardez votre bilan de santé, ne gaspillez pas vos déchets ! », s’est ainsi exclamé le chercheur et inventeur des « toilettes Stanford » lors de la cérémonie.

Partager ce contenu
À lire aussi
Le safran comme solution magique au TDAH ? Les belles promesses prospèrent sur fond d’approximation scientifique et d...
Il est communément admis que l’alcool s’évapore totalement à la cuisson. Qu’en est-il vraiment ?
Bienvenue sur le nouveau site du Pharmacien de France !

Vous êtes déjà abonné ?
Connectez-vous pour mettre à jour vos identifiants :

 

Vous n’êtes pas encore abonné ?
Rejoignez-nous !