N°1368
Mars 2025

Souvenirs, souvenirs…

Plongée dans les méandres captivants de la mémoire et de ce qui peut l’affaiblir ou au contraire la renforcer.

© Canva - Coffeekai Getty Images
par Hélène Bry
Le 26 avril 2023
  • 🇬🇧 Royaume-Uni

    Dauphins déments

    C’est l’étude la plus approfondie sur la démence chez les odontocètes (baleines à dents) jamais effectuée. Des chercheurs des Universités d’Édimbourg, Glasgow, St-Andrews (Écosse) et Leiden (Pays-Bas) ont scruté le cerveau de 22 de ces mammifères marins qui s’étaient tous échoués dans les eaux côtières écossaises. Leurs travaux, publiés le 13 décembre 2022 dans l’European Journal of Neuroscience, ont inclus 5 espèces différentes : les dauphins de Risso,
    les globicéphales noirs, les dauphins à nez blanc, les marsouins communs et les grands dauphins. Ils ont révélé que parmi les 22 spécimens, 4 animaux d’espèces de dauphins différentes présentaient des changements cérébraux qui, chez l’homme, sont associés à Alzheimer. À savoir, chez 3 animaux, « la co-occurence de plaques bêta- amyloïdes, l’accumulation intraneuronale de tau hyperphosphorylée, de fils de neuropiles et de plaques neuritiques » ; et chez 1 autre, la présence de « fils de neuropiles bien développés, une accumulation de phospho-tau et des plaques neuritiques, mais aucune plaque amyloïde ». Selon les chercheurs, « l’apparition simultanée de plaques bêta- amyloïdes et d’une pathologie tau-hyperphosphorylée dans le cerveau des odontocètes montre que ces 3 espèces développent spontanément une neuropathologie de type Alzheimer ». Ces résultats peuvent fournir une explication possible aux événements d’échouage vivant inexpliqués qui se multiplient chez les odontocètes. Les auteurs pensent que leurs découvertes pourraient appuyer la théorie du « chef malade », selon laquelle un groupe d’animaux, par ailleurs en bonne santé, se retrouve dans des eaux dangereusement peu profondes après avoir suivi un chef de groupe qui pouvait être confus ou perdu.

  • 🇫🇷 France

    Du café pour apprendre

    Des chercheurs français ont étudié les effets moléculaires d’une consommation régulière de caféine à long terme sur l’hippocampe, structure cérébrale constituant le siège principal de la mémoire. Leurs travaux, publiés le 10 mai 2022 dans The Journal of Clinical Investigation, démontrent les bienfaits du café sur les processus de mémorisation et l’apprentissage. Une étude de phase 3 avait déjà été lancée à Lille en 2021 pour évaluer l’effet de la caféine sur les fonctions cognitives de patients atteints d’une forme débutante ou modérée d’Alzheimer, mais les mécanismes sous-jacents demeuraient méconnus.
    Les équipes de David Blum, au centre de recherche Lille Neuroscience & Cognition (Inserm / Université de Lille / CHU de Lille), et d’Anne-Laurence Boutillier, au Laboratoire de neurosciences cognitives et adaptatives de Strasbourg, ont étudié les effets d’une consommation chronique de caféine sur l’hippocampe de souris. Ils leur ont administré quotidiennement, par voie orale, une dose modérée de caféine (qui équivaudrait chez l’homme à 3 tasses de café par jour). Après 2 semaines, les chercheurs ont constaté que la caféine laissait des « traces » moléculaires à long terme dans l’hippocampe. Et, plus intéressant encore, ils ont observé, lors des tâches d’apprentissage, que « la caféine agit comme un facilitateur de réponse de l’hippocampe à une tâche mnésique, grâce à une action concertée au niveau des cellules neuronales et non neuronales », note David Blum.

  • 🇨🇳 Échine

    Tout juste 19 ans et déjà Alzheimer !

    À peine sorti de l’adolescence, un jeune homme originaire de Pékin a été diagnostiqué avec un Alzheimer probable. Fait intrigant, il n’a pas d’antécédents
    familiaux de la maladie ni de mutations génétiques qui pourraient expliquer ses symptômes. Depuis 2 ans, il cumule difficultés de concentration, de lecture et présente des réactions retardées ainsi que des pertes de mémoire caractéristiques de cette pathologie, détaille une publication du 31 janvier 2023 dans The Journal of Alzheimer’s Disease.
    Impossible évidemment de réaliser une biopsie de son cerveau en raison des risques potentiels. Mais l’analyse de son liquide céphalo-rachidien a révélé une concentration accrue de protéine Tau. Un scanner cérébral a aussi mis en évidence un rétrécissement de son hypothalamus, zone cérébrale cruciale dans la cognition. « Il s’agit du plus jeune cas jamais signalé à répondre aux critères de diagnostic d’une probable maladie d’Alzheimer sans mutations génétiques reconnues », décrivent les scientifiques. Les autres jeunes patients ayant été diagnostiqués Alzheimer jusqu’alors présentaient quant à eux des mutations, la maladie pouvant être héréditaire si l’un des parents est porteur de gènes défectueux comme PSEN1, PSEN2 ou APP.

  • 🇮🇹 Italie

    De la bière contre Alzheimer ?

    Dans la maladie d’Alzheimer, les dommages neuronaux débutant bien avant l’apparition des premiers signes cognitifs, l’approche nutritionnelle préventive à l’aide de « nutraceutiques » est une piste que les scientifiques continuent d’explorer activement. Une étude publiée le 25 octobre 2022 dans ACS Chemical
    Neuroscience par des chercheurs de l’Université de Milan identifie des composés présents dans le houblon qui freinent la formation des plaques bêta-
    amyloïdes. Bien que la recherche s’interroge aujourd’hui sur le rôle réel de l’accumulation des peptides amyloïdes dans l’apparition des troubles cognitifs, cette étude italienne s’inscrit dans la lignée des conclusions de travaux précédents suggérant que la consommation d’acides amers de houblon maturé (MHBA) améliorait la fonction cognitive, l’attention et l’humeur de personnes âgées, de même que l’administration d’extraits de fleurs de houblon chez la souris atténuait les signes de dégénérescence neurologique. Dans cette étude, les chercheurs ont analysé et comparé, in vitro et in vivo, la capacité de quatre variétés de houblon parmi les plus utilisées dans la bière – Cascade, Saaz, Tettnang et Summit – à entraver l’agrégation et la cytotoxicité des peptides amyloïdes et leurs propriétés antioxydantes pour empêcher la mort cellulaire due au stress oxydatif. Leurs conclusions mettent en évidence que la variété Tettnang, présente dans bon nombre de lagers et bières légères, serait ainsi la plus efficace. Difficile cependant d’encourager la consommation de bière pour prendre soin de sa santé.

  • 🇳🇱 Pays-Bas

    Raviver les souvenirs disparus

    Il est admis que la privation de sommeil nuit à la mémoire. Mais des scientifiques néerlandais ont démontré, dans une étude publiée le 23 janvier 2023
    dans Current Biology, que ce qui est appris lorsque l’on est privé de sommeil n’est pas perdu ! Le neurobiologiste Robbert Havekes et son équipe, de l’Université de Groningue, ont en effet réussi à rendre cette « connaissance cachée » de nouveau accessible chez des souris en utilisant une approche optogénétique (combinaison d’optique et de génétique) ainsi qu’un médicament contre certaines affections pulmonaires, le roflumilast. Ils ont d’abord
    modifié génétiquement les rongeurs en provoquant la production sélective d’une protéine sensible à la lumière, la channelrhodopsine 2, dans les neurones activés par l’apprentissage. Les petits mammifères ont ensuite dû effectuer une tâche consistant à mémoriser la localisation d’objets, puis recommencer quelques jours plus tard alors que certains avaient été déplacés. Les souris privées de sommeil avant la première session n’ont pas réussi à détecter le changement spatial, ce qui suggère qu’elles n’ont pu se rappeler des emplacements d’origine. « Mais lorsque nous les avons remises à la tâche après avoir
    réactivé les neurones de l’hippocampe qui stockaient initialement ces informations grâce à un stimulus lumineux, les souris ont réussi à se [les remémorer] », explique Robbert Havekes. Il a aussi fait resurgir des souvenirs grâce à une molécule : « Quand nous avons administré du roflumilast à des souris entraînées pendant qu’elles étaient privées de sommeil, elles se sont souvenues des emplacements, exactement comme cela s’est produit avec la stimulation directe des neurones ». Ce médicament étant déjà approuvé chez l’homme, ces travaux ouvrent des voies potentielles de recherche en matière de restauration de nos souvenirs évanouis.

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