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Une nouvelle classe d’analgésiques, une famille qui ne souffre jamais, des jurons pour conjurer le mal… Les mécanismes de la douleur passés au révélateur de la science.
🇨🇦 Canada
Et la pire douleur est…
L’université McGill de Montréal étudie les souffrances et ses mécanismes à l’aide d’un questionnaire spécifique. Le McGill Pain Index permet aux patients de décrire ce qu’ils ressentent, à l’aide d’une liste de 78 mots répartis dans 20 catégories de types de souffrance, ainsi que d’une échelle d’intensité. Grâce aux nombreuses données cumulées depuis les années 1970, les scientifiques de McGill ont établi un classement des pires douleurs. La 10e souffrance la moins tolérable est la névralgie du trijumeau et ses douleurs au visage décrites comme des décharges électriques. Un cran au-dessus se place la migraine avec ses vives céphalées survenant par crises. Puis vient la colique néphrétique en 8e position, précédée par la fibromyalgie, la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn, l’amputation d’un doigt sans anesthésie, l’accouchement… La piqûre de Paraponera clavata se hisse sur la 2e marche du podium. Elle est également appelée « fourmi balle de fusil » en raison de la douleur fulgurante qu’elle déclenche, comme un impact de balle se propageant dans tout le corps. La neurotoxine contenue dans son venin, la ponératoxine, immobilise non seulement la victime pendant plusieurs heures, mais elle agit aussi sur les récepteurs de la douleur et provoque une cascade de sensations insupportables. La palme de la souffrance revient au syndrome douloureux régional complexe (SDRC), une maladie rare correspondant à une altération de la circulation causant des douleurs insoutenables dans les parties du corps mal irriguées, genoux, pieds, chevilles, mains, épaules, hanches. Les patients rapportent une sensation de brûlure constante, accompagnée de décharges électriques.
🇺🇸 États-Unis
Les opioïdes bientôt détrônés ?
Premier de sa classe thérapeutique à agir sur la douleur, Journavx est un nouvel analgésique oral du laboratoire Vertex qui a décroché une autorisation de mise sur le marché (AMM) le 31 janvier dernier aux États-Unis. Un événement puisque c’est le premier antidouleur non opioïde à obtenir ce sésame en 20 ans ! Son mécanisme ? La suzétrigine bloque spécifiquement le canal sodique voltage dépendant NaV1.8 qui transmet les signaux de la douleur. Or, NaV1.8 s’exprime dans les neurones périphériques sensibles à la douleur et non dans le cerveau, ce qui permettrait, selon l’agence du médicament américaine, « d’atténuer certains risques associés à l’utilisation d’un opioïde » et en particulier la dépendance. Un Graal pour les États-Unis, ravagés par la crise des opioïdes. L’approbation de la FDA repose sur les résultats de deux essais incluant 600 patients en post-opératoire, entre 40 et 50 ans d’âge moyen, ayant subi une abdominoplastie ou une bunionectomie (chirurgie de l’hallux valgus). Le New Medical Journal of Medicine (NEJM) note que la suzétrigine a permis de soulager les douleurs moyennes, mais pas beaucoup plus que le placebo, et que l’amélioration du niveau de douleur a été rapportée par 50 % des patients tant dans le groupe suzétrigine que dans le groupe hydrocodone + paracétamol. Pour le NEJM, qui relève que de précédentes tentatives de développer des inhibiteurs de canaux sodiques pour traiter la douleur se sont soldées par des échecs, les preuves d’efficacité (modeste) sont limitées et ne peuvent être généralisées au traitement de douleurs non-chirurgicales.
Il recommande donc de réserver Journavx aux patients opérés à haut risque de mésusage des opioïdes.
🇬🇧 Royaume-Uni
Le pouvoir antidouleur des (bons vieux) jurons
Deux chercheurs en psychologie des universités de Keele et d’Oxford ont mené une (très sérieuse) étude pour évaluer les « effets hypoalgésiques » des jurons classiques par rapport aux « nouveaux gros mots ». Ils ont demandé à 92 volontaires de plonger leur main dans de l’eau glacée afin de mesurer leur seuil de douleur et leur tolérance à celle-ci, tout en répétant soit le mot « fuck », soit deux mots inventés aux sonorités rigolotes conçus pour ressembler à des insultes, « fouch » et « twizpipe », soit un mot neutre. Leur étude, publiée le 30 avril 2020 dans Frontiers in Psychology, a montré que la répétition de « fuck », avec un rythme et un volume régulier, avait bel et bien augmenté le seuil de résistance à la douleur de 33 % en comparaison avec l’utilisation du mot neutre. En revanche, « les nouveaux jurons, “fouch” et “twizpipe”, ont été jugés plus émotionnels et humoristiques que le mot neutre, mais n’ont pas eu d’effet sur le seuil ou la tolérance à la douleur », notent les auteurs. « Nous ne comprenons pas encore très bien d’où provient ce pouvoir analgésique des gros mots. Cela ne semble pas être causé par un effet de distraction ni d’amusement, mais par l’excitation émotionnelle qu’ils suscitent », concluent Richard Stephens et Olly Robertson, experts ès grossièretés.
🇫🇷 France
Une hyperalgésie due… aux opioïdes !
Une étude menée aux CHU de Marseille, Montpellier, Nîmes et Nice, bouscule l’usage des opioïdes en anesthésie. Elle s’est intéressée aux déterminants de la douleur post-opératoire. L’essai, dont les résultats ont été publiés le 25 février 2025 dans Regional Anesthesia & Pain Medicine, inclut 971 patients opérés, dont 271 ont rapporté une mauvaise expérience de la douleur, soit 27,9 %. Les principales conclusions de cette analyse multivariée interpellent. En effet, l’utilisation peropératoire des opioïdes sufentanil et rémifentanil multipliait par 27 le risque de mauvaise expérience. Il était aussi multiplié par huit avec les anxiolytiques post-opératoires. En outre, les patients ayant rapporté une amnésie périopératoire étaient 1,5 fois plus enclins à vivre une mauvaise expérience. En revanche, l’utilisation préopératoire du lorazépam ne modifiait pas la perception douloureuse. L’étude montre qu’à l’inverse, avoir plus de 65 ans, une douleur préopératoire, l’absence de prétraitement sédatif et une chirurgie orthopédique étaient associés à une moindre probabilité de mal vivre la douleur. Le fait d’avoir identifié l’usage d’opioïdes synthétiques pendant la chirurgie comme un prédicteur indépendant de vécu douloureux, est cohérent avec le phénomène connu d’hyperalgie induite par les opioïdes. Cette étude invite à une réflexion pour réévaluer les stratégies analgésiques.
🇮🇹 Italie
La famille Même pas mal !
Des chercheurs de l’University College de Londres et de l’Université de Sienne ont publié dans Brain, en février 2018, une étude sur six membres d’une famille italienne atteints d’insensibilité congénitale à la douleur. Sont concernés la grand-mère de 78 ans, ses deux filles et ses trois petits-enfants. Une bénédiction qui leur joue parfois des tours, puisqu’ils peuvent se blesser sans s’en apercevoir. Letizia a ainsi skié un après-midi entier sans réaliser qu’elle s’était brisée la scapula et la clavicule. Quant à son fils Ludovico qui joue au foot, il souffre de fragilités aux chevilles et les radios ont révélé de nombreuses micro-fractures. Tous les six sont très peu sensibles à la capsaïcine (l’alcaloïde responsable notamment de l’effet piquant des piments) et cinq d’entre eux ne perçoivent pas normalement la chaleur et le froid, présentant même une quasi-insensibilité à la chaleur extrême. Le séquençage de leur génome a montré que tous portaient une mutation sur le gène ZFHX2, connu pour contrôler l’activité de seize autres gènes impliqués dans la sensibilité à la douleur. Leur phénotype est si remarquable qu’ils ont donné leur nom à un sous-type entier, le syndrome de Marsili, cette famille étant la seule connue pour avoir cette mutation. Une condition dont ils se satisfont parfaitement puisqu’ils ont assuré aux chercheurs qu’ils ne changeraient leur sort pour rien au monde. En attendant, ils offrent l’espoir de nouvelles avancées pour traiter les douleurs chroniques.
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