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La tentation de la téléconsultation

Elle raccourcit le temps et les distances, à en croire une pharmacienne qui s’est lancée dans la téléconsultation depuis un an et demi. Le phénomène fait mouche et les offres fourmillent.

Par Hélène Bry

© adobestock_pickup

Quand elle s’est engagée dans la téléconsultation, en décembre 2018, il n’y avait même plus de médecin dans sa ville. Pourtant, le besoin de soins des quasi 13 000 habitants de Fleury-Mérogis (Essonne) était criant. Alors Marianne Lechertier, gérante de la Grande Pharmacie de Fleury, a retroussé les manches de sa blouse. « On a bien ­dépanné les gens », glisse-t-elle. Un euphémisme quand son officine, où elle pratique 5 à 6 téléconsultations par jour, est restée pendant un an le seul recours médical local. « Humainement, c’est gratifiant ­d’offrir aux gens une solution en bas de chez eux quand ils sont en galère, qu’un médecin leur dit “Je ne prends pas de nouveaux patients” ou part à la retraite. » La pharmacienne a choisi BewellConnect (Visiomed Group), des bornes avec écrans et appareils ­connectés intégrés, notamment thermomètre, otoscope, stéthoscope, lecteur de glycémie et oxymètre. Elle débourse 750 euros par mois, ce qui inclut l’accès à un pool de médecins en quelques minutes. « On a commencé hors convention, mais là, maintenant que des médecins se sont installés localement et ont envie de travailler avec nous, on va évoluer vers un système conventionné, avec prise en charge, en travaillant avec le maillage de médecins du territoire. Mais aussi avec ceux de plates-formes pour les urgences. » BewellConnect veut se développer aussi puisqu’il lance une offre dite « conventionnée » à 550 euros par mois.

« Ça pourrait devenir rentable »

« Je ne peux pas vous dire que c’est rentable, mais ça pourrait le devenir et c’est l’avenir. Et ça a débloqué énormément de situations au comptoir, à tenter de joindre SOS Médecins… Là, on installe le patient et, après avoir pris ses constantes, on le laisse avec le médecin. On intervient par exemple pour pratiquer un Trod angine à la demande de celui-ci. » Le service rendu, surtout dans des déserts médicaux, est la raison d’être de la téléconsultation en pharmacie. Encore proposée, en juillet 2019, dans seulement 2 % des officines, le service est en plein essor. Éric Roussin, président de Medicitus, qui a choisi de se concentrer sur les pharmacies (plus de 9 000 consultations revendiquées en un an et une perspective de rapprochement imminent avec un autre gros acteur), a fait du chemin : « Au début, on pratiquait de la télémédecine classique, mais quand j’ai réalisé que nos utilisateurs types étaient des jeunes de 25-30 ans ­habitant en région Paca ou en Île-de-France, je me suis dit “Ce n’est pas ce que je veux faire, je veux rendre service, et cela passe par les pharmacies.” Aujourd’hui, nos patients sont des plus de 50 ans, souvent en milieu rural, n’ayant pas forcément de médecin traitant mais parfois de grosses pathologies. Pas de la bobologie ! », résume celui qui propose une offre avec ordinateurs et appareils ­connectés pour 3 000 euros au départ, puis 29 euros par mois, et « un réseau de médecins libéraux sur le ­territoire » permettant d’espérer un remboursement dans les clous des avenants.

Remboursera… ou pas ?

C’est un point central à bien étudier avant de choisir sa solution. Histoire d’éviter la déception de patients ayant dû avancer les frais en ligne sans ensuite voir la couleur du remboursement… En réalité, plus l’offre est conforme à l’esprit de la loi – la territorialité, avec dans l’idéal un fonctionnement en communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) –, plus la prise en charge est assurée. Les acteurs ­Medaviz (une petite dizaine de pharmacies équipées, pour 400 euros par mois incluant le PC ou la tablette, et un chariot avec webcam et stéthoscope, otoscope, tensiomètre et oxymètre) et Leah sont les plus avancés dans cette logique d’avenir puisqu’ils travaillent en amont, dès la constitution des CPTS. Commencer par étudier ce qui se prépare dans son secteur est en effet un bon réflexe. « Une CPTS bien organisée peut apporter d'excellentes solutions de télémédecine et les pharmaciens ont pleinement leur rôle à jouer, analyse Louis Malachane, directeur médical de Leah. On a un marché hyper dynamique mais pas encore mûr et on ne sait pas qui tirera son épingle du jeu. »
Dans une offre multiforme, la tendance est de viser un maximum de prises en charge, parfois avec tiers payant, en s’accomodant au mieux d’un paradoxe : le remboursement intervient théoriquement quand c'est le médecin traitant qui réalise la téléconsultation (sauf exceptions comme les situations d'urgence). Or, lorsque l’on vient consulter à la pharmacie, c’est bien souvent parce qu'il n’est au mieux pas disponible, au pire… inexistant ! Sans compter que les remboursements varient d’une CPAM à l'autre. Parmi les principales offres, on peut citer Medadom (borne tactile avec les appareils connectés, pour 290 euros par mois) ou Docavenue (filiale du groupe Cegedim, 141,68 euros par mois pour l’abonnement et la location du matériel connecté) dont la force est de s’appuyer sur un maillage de 1 700 professionnels de santé équipés. Certaines sociétés, comme Qare, reconnaissent, elles, être surtout hors cadre conventionnel, mais se disent désireuses d'entrer dans la logique des territoires. « Plus nous intégrons de nouveaux médecins, plus c’est le cas. Déjà, nous essayons de mettre en relation le médecin et le pharmacien du territoire », affirme Victoria Pollosson, chargée de projet pharmacie chez Qare, qui propose une trousse d’objets connectés pour 950 euros la première année puis 40 euros par mois.
Chacun met en avant ses points forts, espérant convaincre les pharmaciens. Ainsi, les adeptes d'une solution hypersécurisée peuvent être séduits par l’option téléconsultation (89 euros par mois) d’E-Santé Technology, qui s'ajoute aux 69,90 euros par mois de leur plate-forme de base. Et les pharmaciens qui rêveraient d'une Rolls de la téléconsultation peuvent convoiter les cabines ultra­sophistiquées de la société H4D. Seul hic : ces cabinets médicaux ­miniatures coûtent 2 250 euros par mois. « Actuellement, le cœur de notre activité, ce sont les entreprises du CAC 40, Airbus, EDF, la SNCF, qui utilisent nos cabines pour leurs salariés, et une offre citoyenne dans certaines mairies, mais nous sommes en discussion avec des groupements de pharmacies », explique Olivier Djian, le directeur commercial. Son concurrent, Tessan, propose une offre plus accessible, avec une cabine insonorisée et opaque à 1 300 euros par mois ou une borne à 600 euros par mois. « Nous avons des pharmaciens qui font 15 téléconsultations par jour, nos médecins sont joignables en 15 minutes. Le patient n’avance pas les frais, et si les médecins n’arrivent pas à se faire rembourser, nous payons », conclut Maxime Leneylé, le directeur général. « Et il n'est pas nécessaire d'être une grosse pharmacie pour se lancer. Le critère essentiel est la ressource médicale autour de l’officine. »

Des patients fidélisés

Quid des retombées financières ? L’avenant n° 15 prévoit une participation forfaitaire de 1 225 euros pour s’équiper la première année puis de 350 euros par an. La rémunération annuelle du pharmacien varie, elle, en fonction du nombre de téléconsultations réalisées et peut aller jusqu’à 400 euros maximum par an. Mais il ne faut pas oublier les avantages qu’elle apporte en termes de fidélisation des patients « qui accèdent par exemple à un avis dermatologique rapide », avance Arnault Billy, directeur général de Docavenue. « La téléconsultation en pharmacie rend aussi service aux gens de passage », enchérit François Lescure, président de Médecin Direct et de l’association Les Entreprises de télémédecine, qui déplore les rigidités du cadre ­conventionnel concernant le remboursement.

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