Année après année, rapport après rapport, la profession s’était habituée à devoir répondre aux attaques incessantes des financiers de la santé. J’entends par là les chantres toujours bien intentionnés de la concurrence, les théoriciens du capital libre, les zélateurs de la dérégulation. Ceux dont les écrits parsèment ces dernières décennies, depuis le rapport Rueff-Armand, en passant par la commission Attali ou, aujourd’hui, l’Inspection générale des finances. Je ne reviendrai pas sur la médiocrité des données chiffrées qui nous sont opposées par les services de Bercy, ni même sur ses propositions, si peu originales qu’elles ont presque soixante ans. Je ne voudrais parler ici que des choix de société qu’elles supposeraient si elles étaient mises en application.
« Les pharmaciens ne cèderont pas au dogme du libéralisme à tout prix. »
La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres, dit l’adage. La mondialisation nous a appris qu’il n’en va pas de même avec les capitaux, dont la mobilité ne connaît pas les frontières. Imaginez un instant, une fois le capital des officines ouvert au profit de certains opportunistes, des chaînes de pharmacies tenues par des fonds d’investissement dont les dividendes s’évaporeront à l’étranger. En totale contradiction avec la volonté de croissance nationale voulue par le gouvernement. Imaginez, une fois l’installation des officines dérégulée, des villes où seront créés de trop nombreux points de vente et des zones rurales où les déserts pharmaceutiques s’ajouteront aux déserts médicaux. Imaginez, enfin, du paracétamol en grande surface à prix coûtant, « délivré » par des docteurs en pharmacie tenus de faire du chiffre sur ce qui ne sera plus que des produits parmi d’autres. L’imaginez-vous ? Moi, je m’y refuse. Les pharmaciens, une profession réglementée et fière de l’être, ne cèderont pas au dogme du libéralisme à tout prix.
Dans le domaine de la santé – où le prix et la valeur des choses sont distincts, où l’effort et la dépense sont collectifs –, le pouvoir d’achat n’apporte rien. Vouloir mettre en péril un réseau de 22 600 pharmacies pour un hypothétique gain de moins de 1 euro par Français et par mois sur de l’OTC ne tient pas économiquement. Et c’est un non-sens sanitaire. Les très nombreuses actions que vous avez déjà menées en régions ou sur les réseaux sociaux – en attendant le mouvement du 30 septembre – sont le témoignage qu’au-delà de nos différences tous les pharmaciens se retrouvent sur l’essentiel. Et l’essentiel se résume en quelques mots : nos patients ont besoin de la protection que leur offre la profession grâce aux trois piliers que sont le monopole, la loi de répartition et le capital réservé aux pharmaciens d’officine, garantie de l’indépendance des professionnels de santé que nous sommes. Tout le reste est superflu.