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Substitution, stop ou encore ?

Si le droit de substitution du pharmacien n’est pas remis en question, il pourrait cependant être vidé de sa substance dans le champ du générique et ne jamais voir le jour dans celui des biosimilaires. Un scénario catastrophe pour l’officine.

Par Benoît Thelliez

© ADOBESTOCK_GIORDANO AITA

C’était il y a 20 ans. En juin 1999, le droit de substitution accordé aux pharmaciens ouvrait une nouvelle ère pour l’économie officinale. Pour les pouvoirs publics, l’objectif de cette mesure était on ne peut plus clair : faire réaliser de substantielles économies à l’Assurance maladie en confiant aux officinaux la tâche de substituer le médicament princeps prescrit sur l’ordonnance par son équivalent générique. Ce qui ne se fit pas d’emblée sans quelques réticences. Mais malgré la gronde d’une partie des médecins se sentant dépossédés de leur liberté de prescription, les tentatives de certains laboratoires de princeps de discréditer les génériques en émettant des doutes sur leur fiabilité et la méfiance des patients qui en a découlé, le pari s’est pourtant assez vite révélé payant. Intéressant les pharmaciens à la substitution en instaurant, dès l’année 2000, le principe de la marge équivalente entre le princeps et ses génériques, l’État a en effet récolté les fruits de sa politique : plus de 25 milliards d’euros économisés en vingt ans sur les comptes de l’Assurance maladie et une économie actuelle de 1,7 milliard d’euros par an. Des montants que les autorités jugent toujours insuffisants et qu’elles pensent pouvoir encore augmenter par l’instauration de mesures dont la pertinence est aujourd’hui plus que contestée. 

Revoilà le TFR

Si, en 2004, le taux de substitution par les pharmaciens s’élevait à 58 %, il dépasse aujourd’hui les 80 % en moyenne (avec un objectif fixé conventionnellement à 90 %) – un record en Europe – et continue même d’augmenter tous les ans (+ 0,2 % entre 2017 et 2018). En revanche, le générique ne représente en France que 36 % du volume du marché des médicaments remboursables, contre 70 % aux Pays-Bas, 80 % en Allemagne et près de 83 % au Royaume-Uni. La faute, en grande partie, à un taux de prescription à l’intérieur du répertoire des groupes génériques qui stagne à 47 %. Plutôt que d’actionner ce levier ou bien d’élargir le répertoire dans lequel ne sont inscrits que 38 % des médicaments princeps, le gouvernement préfère prendre des dispositions qui pourraient avoir des conséquences funestes sur l’économie officinale. 
La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019 entend ainsi, dans son article 66, encadrer plus strictement le recours à la mention « Non susbstituable » (NS) à partir du 1er janvier 2020. Désormais, le prescripteur sera tenu de justifier toute mention « NS » par l’une des situations médicales devant bientôt être précisées par arrêté. Cette mesure s’accompagne par ailleurs d’un dispositif financier incitatif qui prévoit que tout patient qui refusera la substitution, sans justification médicale portée sur l’ordonnance, sera désormais remboursé sur la base du prix du générique. Si le fait de laisser à la charge de l’assuré le différentiel de coût lié à son refus de se voir substituer son princeps peut sembler de prime abord une bonne idée, elle n’est cependant pas nouvelle et a déjà généré son lot d’effets pervers. Elle s’apparente à un dispositif créé en 2003 et déjà appliqué à certains groupes génériques : le tarif forfaitaire de responsabilité (TFR). Or, dans ces groupes, les industriels commercialisant les princeps ont très majoritairement aligné leur prix sur celui des génériques pour contrecarrer l’effet dissuasif de la mesure pour les patients. Dans un article paru dans The Conversation en octobre 2018, le sociologue Éric Nouguez, spécialiste de l’économie des médicaments génériques, relève ainsi que « dans les groupes génériques soumis à TFR en 2003 pour lesquels le prix du princeps a été immédiatement aligné, le taux de substitution moyen a crû de […] 10 points entre 2003 et 2004, contre + 40 points pour les groupes sans alignement de prix. Pensé initialement comme un soutien au développement du générique, le TFR s’est ainsi rapidement mû en frein à la substitution »

Dommage collatéral

Interrogé sur les effets probables de l’article 66 de la LFSS pour 2019, Stéphane Joly, président de l’association des industriels du médicament générique et biosimilaire (Gemme), est catégorique : « Nous avons la certitude que bon nombre de laboratoires de princeps vont aligner leur prix sur celui des génériques présents dans le même groupe que leur molécule. Si cela se généralise, beaucoup de médecins et de patients auront cette information, prescriront et demanderont le ­princeps sans se soucier du reste à charge qui, de fait, n’existera plus. » Même s’il pense que « le gouvernement n’a pas l’intention de casser l’économie du générique », il s’inquiète fortement de ce qu’il qualifie de « dommage collatéral » et pense même que « beaucoup de pharmaciens n’ont pas compris ce qu’il risquait de se passer » avec l’instauration de cette mesure. Outre les industriels, les syndicats de pharmaciens sont également montés au créneau. Philippe Besset, le président de la FSPF, a d’emblée dénoncé ce qu’il estime s’apparenter à un « TFR généralisé », entraînant un manque à gagner pour l’officine de l’ordre de 100 millions d’euros dès le 1er janvier 2020, sans compter les 200 millions d’euros de pertes supplémentaires liées à la contraction de 20 % du marché du générique. Dans un souci d’apaisement de dernière minute, le gouvernement a finalement consenti à maintenir un avantage concurrentiel pour le générique via l’introduction d’un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 (lire l'encadré « Le tiers payant à la rescousse » ci-dessous). Une piètre consolation qui ne saurait d’ailleurs compenser les mesures prises par ailleurs sur la substitution des biosimilaires.

Rideau sur les biosimilaires

Même si la décision n’est finalement qu’un dénouement logique pour une mesure législative laissée sciemment sans effet par les ministres de la Santé successifs, le coup n’en est pas moins rude pour les officinaux. Lors du vote en première ­lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, les députés ont donc purement et simplement supprimé la possibilité pour les pharmaciens d’officine de pratiquer la substitution d’un médicament biologique de référence par un biosimilaire (ou d’un biosimilaire par un autre biosimilaire) appartenant au même groupe dans la liste définie et mise à jour par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Dans ­l’exposé des motifs de l’article 29 du PLFSS qui supprime les textes du Code de la santé publique encadrant cette susbstitution par les officinaux, le gouvernement justifie sa position en expliquant qu’il n’est « pas possible, notamment pour des raisons de traçabilité et de sécurité sanitaire, de mettre en œuvre une substitution au moment de la délivrance du produit ». S’appuyant sur le rapport « État des lieux sur les biosimilaires » publié en 2016 par l’ANSM pour justifier sa position, le gouvernement omet pourtant de préciser que cette dernière conclut qu’« au vu de l’évolution des connaissances et de l’analyse continue des données d’efficacité et de sécurité des médicaments biosimilaires au sein de l’Union européenne, il ressort qu’une position excluant formellement toute interchangeabilité en cours de traitement ne paraît plus justifiée. » ­Apparu dans la LFSS pour 2014, le droit de susbstitution d’un médicament biologique par un biosimilaire n’avait jamais pu être mis en pratique en raison de l’absence de décret d’application, réclamé en vain par la profession. Du côté des industriels spécialistes des biosimilaires on reste toutefois confiant. Si Stéphane Joly reconnaît que la suppression de cette possibilité a été « un choc pour beaucoup d’entre nous », il préfère rester positif et estime que « c’est l’occasion de redévelopper quelque chose de constructif » en rappelant qu’« il y a vingt ans, beaucoup de laboratoires, même des génériqueurs, étaient contre la substitution ». Un avis que partage la pharmacienne et députée Agnès Firmin Le Bodo (UDI-Agir, Seine-Maritime) qui dénonce « un rétropédalage paradoxal » sur ce dossier et estime que lorsque l’on peut faire « 300 millions d’économies sans perturber l’accessibilité des traitements et sans crainte pour [leur] tolérance […], on n’a pas le droit de passer à côté ». Selon l’élue, « on est parti sur un malentendu et il faut repartir d’une page blanche ». Un malentendu qui perdure, notamment avec les associations de patients dont quinze d’entre elles se sont récemment élevées contre l’éventualité de réintroduction d’un droit de substitution du biosimilaire à l’officine, qu’elles considèrent comme n’étant pas la « solution miracle […] à l’équilibre des comptes sociaux ». Pour autant, Stéphane Joly pense qu'il est inéluctable que « le pharmacien d’officine prenne part au développement des biosimilaires et qu’il soit rémunéré en conséquence ». Le tout reste de savoir quand…

Le tiers payant à la rescousse

C’est dans un contexte de vive inquiétude vis-à-vis de l’économie officinale que les députés ont fini par désarmocer, le 25 octobre, la bombe à retardement que représente l’article 66 de la loi de financemement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019, en adoptant un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 qui étend le dispositif tiers payant contre génériques « aux cas où les prix de certains génériques sont identiques à celui du princeps ». En clair, même en cas d’alignement des prix, seule la substitution ouvrira droit au tiers payant, préservant ainsi un tant soit peu l’attractivité des génériques. Porté par le gouvernement sur proposition des industriels du médicament générique et biosimilaire (Gemme), cet amendement s’apparente à une bouée de sauvetage pour les pharmaciens qui craignaient de voir sombrer le vaisseau du générique. 

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