L’état de grâce du baclofène toucherait-il à sa fin ? Mi-mars, pour le premier anniversaire de sa recommandation temporaire d’utilisation (RTU), vivement critiquée à l’époque parce que bien trop contraignante (lire « Délivrons le baclofène ! », Le Pharmacien de France no 1273), l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a décidé de la renouveler pour une année, en l’allégeant au passage. La prescription de baclofène est même devenue possible en première intention et non plus seulement en cas d’échec des autres traitements. Fort de cette bénédiction, le laboratoire Ethypharm a déposé le 31 mars dernier une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM), dont le dossier devait intégrer au fur et à mesure les résultats très attendus des essais Alpadir et Bacloville, ainsi que ceux de l’étude commandée par l’ANSM à l’Assurance maladie. C’est à ce moment que la lune de miel a pris fin.
Chou blanc sur l’abstinence
L’étude Alpadir, financée par Ethypharm, a été publiée sur le site de la revue Alcohol and Alcoholism en mars : les 180 mg/jour de baclofène n’ont eu aucun effet sur l’abstinence par rapport au placebo. Seule « une tendance à la réduction de la consommation d’alcool » a été observée, au sixième mois, dans le sous-groupe de patients « avec une consommation […] à haut risque », soit plus de quatre verres par jour chez les femmes et plus de six chez les hommes. Selon le Pr Michel Reynaud, président du fonds Actions Addictions, « des buveurs de douze verres par jour sont passés à trois verres avec le baclofène contre quatre et demi avec le placebo ». Et l’envie irrésistible de boire, appelée craving par les addictologues, « était significativement diminuée dans le groupe baclofène », rapporte encore l’étude. Si les résultats définitifs de l’essai Bacloville, financé, lui, par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, n’ont pas encore été publiés, de premiers éléments ont été divulgués, indiquant « 56,8 % de succès » grâce au baclofène, jusqu’à 300 mg/jour, contre 36,5 % sous placebo, « le succès étant défini par une abstinence ou une consommation médicalement correcte au douzième mois de traitement ». Moyennant des effets indésirables graves (insomnie, somnolence et dépression) plus fréquents, soit 44 % contre 31 %. « Le baclofène permet de réduire la consommation d’alcool dans un cas sur deux, ce n’est déjà pas si mal », commentait le Pr Reynaud mi-mars.
Risque accru de décès
À ces résultats en demi-teinte au vu des espoirs fous suscités par cette molécule, est venue s’ajouter, début juillet, l’étude alarmante de l’Assurance maladie, réalisée à partir de sa base de données, sur une période courant de 2009 à 2015 et couvrant 213 000 patients. Le baclofène y a été comparé aux traitements de l’alcoolodépendance actuellement sur le marché (acamprosate, naltrexone, nalméfène, disulfiram). Le résultat parle de lui-même : entre 75 et 180 mg/jour, le risque de décès est multiplié par 1,5. Au-delà, la fréquence des hospitalisations est augmentée de 46 % et le risque de décès multiplié par 2,27, en particulier pour intoxication, épilepsie ou « mort inexpliquée », selon les certificats de décès. Ni une ni deux, le 25 juillet, l’ANSM a donc décidé d’abaisser la dose autorisée dans le cadre de la RTU à 80 mg/jour quand il était possible, dans la précédente version, d’atteindre les 300 mg quotidiens !
Retour à la case départ ?
Inévitablement, la colère des médecins pro-baclofène ne s’est pas fait attendre. Ces grandes figures de l’addictologie n’estiment pas justifiée une « décision réglementaire sur la seule base d’une étude pharmaco-épidémiologique, avec un grand nombre de biais potentiels » et « qui ne permet pas de démontrer que les doses inférieures ou égales à 80 mg soient meilleures en termes de rapport bénéfices/risques que les doses supérieures. […] L’expérience clinique et les données scientifiques montrent pourtant que le baclofène est actif à des doses en moyenne autour de 150 à 180 mg ». Le manque d’information sur la méthodologie et l’anonymat des auteurs de l’étude de l’Assurance maladie ont également été pointés du doigt, notamment par des membres du comité scientifique réuni par l’ANSM sur le dossier baclofène. Son directeur général Dominique Martin, leur répond simplement qu’une RTU « engage sa responsabilité » et que sa « décision ne vise rien d’autre qu’à protéger les patients. L’analyse était sans ambiguïté : il y a un risque important à haute dose ». Une décision qui « ne préjuge en rien » de celle qui sera prise pour l’AMM demandée par Ethypharm, a priori « à la fin de l’année ».