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L’optique en ligne de mire

Outil pour diversifier son offre de services et source de fidélisation des patients, l’activité optique entre à l’officine. Un bon plan ?

Par Claire Frangi

© FOTOLIA/SOULSISZ

Il fut un temps où les opticiens étaient salariés des pharmacies et endossaient eux aussi une blouse blanche derrière le comptoir. Puis, au cours des années 1950, ils ont pris leur indépendance et quitté les officines. Par la suite, les grandes chaînes d’optique ont débarqué. « Les aspects marketing et commerciaux ont alors pris le pas sur la santé visuelle », relate Emmanuel Jeanteur, président d’Unilens, la société mère du réseau Carré de l’optique. L’installation de corners de montures correctrices à l’officine ne serait-elle alors finalement qu’un juste retour aux sources ?

Du traditionnel au digital

Si leur présence n’est pas nouvelle – Carré de l’optique a été fondé il y a déjà neuf ans et Univers Pharmacie propose un espace optique à ses adhérents depuis 2007 –, l’offre s’est récemment diversifiée. Et la concurrence est désormais rude pour s’attirer les faveurs des titulaires, avec des solutions parfois à la limite de la légalité (voir encadré « L’usage ne fait pas loi » ci-dessous et lire « L’officine change de branche », Le Pharmacien de France, no 1280). Du partenariat avec des opticiens extérieurs (le modèle adopté par Otiko avec Optic 2000 ou par Bar Optical), moyennant une présence discontinue de l’opticien dans l’officine, à la solution « phygitale », combinant rayons physiques et digitaux (le cas de WebOptician avec son enseigne Zoom+), en passant par la cabine digitale avec un opticien présent physiquement (Evioo) ou des bornes connectées à un opticien à distance (Happyview de Afflelou), de nombreuses formules existent. Ces divers équipements ont vu diminuer leur coût à l’installation et la place qu’ils requièrent (voir encadré « Du simple au double » ci-dessous). Selon les situations, le pharmacien n’est parfois même pas obligé de devenir propriétaire du stock, un avantage non négligeable. 
Pour l’appâter, les prestataires mettent en avant leurs prix de vente compétitifs, qui s’échelonnent, pour le client, entre 19,99 euros et 99 euros TTC pour des verres unifocaux et 54,99 euros et 199 euros TTC pour des verres progressifs. Ils répètent à l’envi, à l’instar d’Alain Héry, directeur général de WebOptician, que « la marge brute réalisée par la pharmacie se situe dans la ligne de celle d’un opticien traditionnel, soit entre 55 et 65 % de la valeur d’achat du produit ». Pour Emmanuel Jeanteur, « en s’adjoignant les services d’un opticien, le pharmacien offre ce qui manquait pour que la panoplie soit complète : la correction »
Une aubaine, donc ? « Les taux de marge sont séduisants. Mais il faut les rapporter au nombre de ventes et aux charges salariales », tempère Philippe Pasdeloup, dont la pharmacie est située à Bourges (Cher), dans un quartier dénué d’opticien. Avec son Carré de l’optique, installé fin 2015, il dit s’« approcher du point d’équilibre, mais sans plus ». À Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire), il a fallu six mois à Rodolphe Lamelet pour amortir son corner Optic & Price, entre le matériel et le salaire de l’opticien. Mais il n’en tire pour l’instant aucun bénéfice, malgré son emplacement dans un petit centre commercial sans le moindre opticien à trois kilomètres à la ronde : « Cela nous apporte quelques clients qui arrivent par l’optique, analyse-t-il. Ils ont de petits budgets et n’ont plus les moyens de fréquenter les grandes chaînes d’optique comme Lynx Optique. Je constate aussi la satisfaction de notre clientèle devant cette offre supplémentaire. » Toutefois, « les patients n’attendent pas ce service de la pharmacie, alors il faut du temps avant qu’ils y soient réceptifs », explique Philippe Pasdeloup, qui le fait découvrir par le biais de journées d’examen de la vue, « très appréciées dans une ville où les délais d’obtention d’un rendez-vous chez un ophtalmologue sont longs ».

Prérequis

Avant de se lancer, encore faut-il s’assurer que la fréquentation de l’officine soit suffisante. Constant Kuder, consultant pour CK Evolution, cabinet spécialisé en pharmacie, l’évalue à 200-250 clients par jour au moins. Selon lui, la concurrence est également à prendre en compte : « Une étude de marché, pour mieux connaître son environnement et sa zone de chalandise, comme ce que propose Carré de l’optique, est nécessaire. » Quitte à ce que ce dernier refuse la demande d’un titulaire… Enfin, il faut être attentif à une foule de détails : statut du stock (en dépôt-vente ou propriété du pharmacien), conditions de son renouvellement, conditions de rupture du contrat, pourcentage du chiffre d’affaires reversé ou encore origine et qualité des verres, types de traitements proposés (antireflet, antirayures)… Surtout, le pharmacien doit prendre conscience que « c’est lui le pivot, parce qu’il a un pouvoir de prescription et qu’il est en lien avec les clients, indique Philippe Wargnier, fondateur d’Evioo, ex-directeur général du site de vente en ligne de chaussures Spartoo. Et c’est le travail de toute l’équipe de prendre les rendez-vous si l’opticien n’est pas là et d’être attentive aux ordonnances qui passent ». Bref, mieux vaut ne pas naviguer à vue. 

L’usage ne fait pas loi

  • Selon l’Ordre des pharmaciens, si le pharmacien a recours aux services d’un opticien diplômé qu’il salarie et si l’acte d’optique (prise de mesures, commande des verres et de la monture, délivrance) est bien réalisé par le détenteur du diplôme, alors l’activité d’optique est autorisée à l’officine.
  • Dans les cas où l’opticien n’est pas salarié de l’officine ou s’il exerce son activité à distance, l’Ordre recommande, en l’absence de jurisprudence et de position du ministère de la Santé (où le dossier est « en cours de traitement »), de se rapprocher de l’agence régionale de santé (ARS) dont dépend l’officine. Ainsi, l’ARS Île-de-France a-t-elle estimé que ce type d’activité pouvait être assimilé à une mise à disposition de locaux au profit d’un tiers, prohibée par le code de déontologie.
  • Autre interdit posé par le Code de la santé publique et sur lequel un corner optique pourrait être attaqué : le cumul d’activités. En effet, cette activité pourrait être qualifiée de commissionnaire en optique et pourrait donc constituer une activité différente de celle de pharmacien d’officine.

 

Du simple au double

  • Carré de l’optique (Unilens) : corner de 15 à 20 m2, 300 à 600 montures exposées, ticket d’entrée de 70 000 à 90 000 € HT. Le point d’équilibre pour rentabiliser l’investissement matériel est atteint autour de 1,6 paire de lunettes vendue par jour.
  • Zoom+ (WebOptician) : corner de 10 m2, exposition de 650 montures, installation à partir de 800 € HT par mois pendant 7 ans. Équilibre à 30 paires par mois.
  • Tout l’univers de l’optique (Univers Pharmacie) : corner de 20 à 30 m2, 800 à 1 000 montures exposées, installation à partir de 30 000 € HT. Équilibre à 1,5 paire par jour.
  • Optic & Price (Direct Labo) : corner de 8 m2, exposition de 300 montures, installation pour 500 € HT par mois pendant 5 ans. Équilibre à 3-4 paires par mois.
  • L’Opticien selon Evioo : cabine de 5 m2, 5 000 montures en essayage virtuel en réalité augmentée, installation pour moins de 30 000 € HT. Équilibre à 1 paire par jour de présence de l’opticien.
  • Otiko avec Optic 2000 : présentoir de 70 à 140 cm de long, 100 montures exposées, ticket d’entrée de 1 750 € HT pour le pharmacien et autant pour l’opticien Optic 2000, auxquels s’ajoute une redevance mensuelle de 70 € HT pour le pharmacien et de 60 € HT pour l’opticien, durant 3 ans. Équilibre à 30 paires par mois. En l’absence de l’opticien, le pharmacien peut prendre les mesures optiques, passer la commande des verres et de la monture et la remettre scellée au client.
  • Bar Optical : îlot de 5 à 10 m2, 50 montures exposées, pas de frais d’implantation. Le pharmacien perçoit un pourcentage du CA HT, qui évolue par paliers (10 % de 0 à 20 000 €…).
  • Happyview (Afflelou) : la direction affine sa stratégie commerciale et n’a pas souhaité communiquer.

 

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