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Agnès Buzyn - ministre de la Santé

« Je veux m’inscrire dans le long terme »

Agnès Buzyn et les pharmaciens, c’est une histoire qui doit encore être écrite. Au moment où la ministre de la Santé subit sa première polémique, elle revient sur les promesses de campagne d’Emmanuel Macron, dispensation à l’unité en tête.

Par Laurent Simon et Anne-Laure MercierPhotographe Nicolas Kovarik

BioExpress

Agnès Buzyn est entrée en politique le jour où elle a été nommée ministre des Solidarités et de la Santé, à la surprise générale, dans le gouvernement Philippe en mai 2017. Cette spécialiste en hématologie et immunologie, après une carrière d’abord orientée vers la recherche et l’enseignement puis au sein d’institutions publiques, a succédé à Marisol Touraine avec deux chantiers prioritaires : l’obligation vaccinale et le tiers payant généralisé.

  •  2016-2017 : présidente du collège de la Haute Autorité de santé (HAS).
  •  2011-2016 : présidente du conseil d’administration de l’Institut national du cancer (Inca).
  •  2009-2011 : membre du conseil d’administration de l’Inca.
  •  2008-2013 : présidente du conseil d’administration de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
  •  2002-2006 : directrice de recherche en immunologie des tumeurs (Institut Cochin-Paris-V).

Depuis mi-août, l’actualité est dominée par le Levothyrox. Vous avez annoncé le retour de l’ancienne formule après avoir écarté cette possibilité. N’avez-vous pas peur d’avoir ajouté à la confusion ?

Il nous fallait choisir entre deux maux. Ce qui compte, c’est que les patients puissent choisir le traitement avec lequel ils se sentent le plus à l’aise. Il nous fallait aussi sortir de ce monopole [du laboratoire Merck avec le Levothyrox, NDLR], qui a considérablement gêné la gestion de ce dossier. Ce n’était pas un choix de l’État mais le résultat de pratiques : le générique qui existait auparavant n’a pas été prescrit par les médecins et ne représentait que 1 % environ de part de marché. Le laboratoire [Biogaran, NDLR] a donc décidé d’arrêter la production et de se retirer du marché français. En attendant que des alternatives soient disponibles, nous demandons aux pharmaciens et aux médecins d’être attentifs au fait que seuls les patients ayant des effets secondaires invalidants fassent le switch vers les stocks de l’ancienne formule ou la forme liquide. Je vous rappelle que la nouvelle formulation est délivrée à 100 % des patients aux États-Unis depuis dix ans et elle se déploiera en Europe avec les mêmes critères de qualité. Revenir à l’ancienne formule crée un peu de confusion, voire de faux espoirs, je le sais, mais je répète que cette situation est temporaire.

Comment en avez-vous informé les professionnels de santé et les malades ?

J’ai demandé à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) d’écrire aux médecins, pour que les patients soient tenus au courant.

Cette polémique sanitaire ne signe-t-elle pas simplement l’échec de la communication à l’égard des patients ?

Clairement. Nous ne sommes pas organisés pour communiquer sur les médicaments de manière simple et intelligible. J’ai lancé une mission autour de l’information des patients. Je lui laisserai trois à six mois pour y travailler. C’est un sujet éminemment sensible : à l’heure des réseaux sociaux, les méthodes de communication classiques ne fonctionnent plus. La solution d’envoyer une lettre directement aux patients, si elle n’est pas accompagnée, est simpliste et même anxiogène parfois. Il nous faut y réfléchir collectivement, avec des médecins, des pharmaciens, des usagers, etc. Ce n’est donc pas un scandale sanitaire, la procédure a été suivie normalement, mais il s’agit d’un défaut de communication et d’accompagnement du changement.

Quelle est la responsabilité de l’ANSM dans cette affaire ?

« Une concertation
sur l’OTC en grandes
surfaces n’est pas
dans les priorités
du gouvernement. »

Il n’y a pas de faute. Je vous rappelle qu’il n’est pas dans les missions de l’ANSM ou de son directeur général, Dominique Martin, de communiquer auprès des malades. Elle ne peut le faire qu’auprès des médecins. Les patients veulent certes qu’on leur parle directement mais, par ailleurs, ils sont protégés par le secret médical. Personne n’a le nom ou l’adresse de tous ceux qui prennent du Levothyrox en France. C’est pour cette raison que la mission que je lance est importante. Le précédent gouvernement avait mis sur pied un site d’information mais le public ne le connaît pas. En revanche, des outils d’information développés dans les logiciels d’aide à la prescription ou à la délivrance (LAP ou LAD) existent pour rappeler au médecin ou au pharmacien la nécessité d’un accompagnement. C’est une piste parmi d’autres. Celle que l’on maîtrise le moins est probablement les réseaux sociaux. Or, aujourd’hui, l’information circule aussi de cette manière.

Le 1er janvier prochain, à votre initiative, onze vaccinations deviendront obligatoires. Pourquoi avoir fait ce choix, critiqué, voire dénoncé par certains ?

Pour des questions juridiques [liées à une décision du Conseil d’État imposant la mise à disposition de vaccins correspondant aux seuls obligatoires, NDLR], je devais trancher la question avant le 8 août dernier ; j’ai donc été obligée de m’emparer de ce sujet sans disposer du temps idéal à la pédagogie, alors que c’est ma façon de procéder habituellement. J’avais le choix entre rendre obligatoire tout ou rien ; or la seconde option me semblait contradictoire avec les enjeux de santé publique. Elle est même risquée, avec la quasi-certitude de voir diminuer la couverture vaccinale sur le DTPolio, ce qui serait une catastrophe. Personne ne remet en cause la qualité de ce vaccin obligatoire depuis trente ans, au contraire de certains autres vaccins, comparables au DTPolio, et qui ne sont pas obligatoires pour des raisons historiques.

Les opposants à la mesure mettent en avant leur liberté de choix. Que leur répondez-vous ?

« La capacité à
conseiller est très
variable d’une
officine à une autre
en fonction de
sa clientèle, de son
positionnement. »

Mettre tous les Français face à un choix pour chaque vaccin était impossible vu leur nombre et les enjeux sanitaires qui en découlent. Je vous rappelle que des enfants meurent en France faute d’avoir été vaccinés. En 2016, suite à l’action de l’Organisation mondiale de la santé, il n’y a pas eu un seul cas de rougeole dans toute l’Amérique du Sud ; en France, une jeune fille de 16 ans en est morte au mois de juin. Cela fait dix décès ces dernières années. Certains enfants qui n’en meurent pas peuvent rester handicapés à vie. J’ai donc pris mes responsabilités en protégeant les enfants français. Les pharmaciens doivent rassurer la population : près de 80 % des enfants reçoivent déjà ces onze vaccinations et on ne déplore pas d’effets secondaires. L’obligation vaccinale ne porte donc en réalité que sur les 20 % restants.

Où en est la réflexion sur de possibles exemptions pour les parents ?

Nous travaillons sur cette clause d’exemption, qui ne concerne pas les contre-indications médicales évidemment. Le sujet pose des problèmes juridiques : l’exemption semble être contradictoire avec l’obligation vaccinale pour motif de santé publique et il y a un risque que le Conseil constitutionnel ne l’admette pas. Je voudrais tout de même rappeler qu’après le 1er janvier, les enfants que leurs parents ne feront pas vacciner ne pourront pas entrer en collectivité. C’est ce qui se passe aux États-Unis où les vaccins ne sont certes que recommandés officiellement mais indispensables pour accéder à la collectivité.

À ce jour, combien de pharmaciens se sont impliqués dans l’expérimentation de la vaccination antigrippale à l’officine ?

« Nous n’avons
pas prévu que les
pharmaciens puissent
vacciner les enfants. »

Cette expérimentation, inédite en France, est très importante pour faciliter le parcours vaccinal des patients et améliorer la couverture vaccinale. Basée sur le volontariat, elle avait été accueillie avec enthousiasme par les pharmaciens. Il est difficile de faire des estimations précises car les inscriptions auprès des agences régionales de santé devraient se poursuivre pendant encore plusieurs semaines. D’ores et déjà, 1 350 dossiers de participation sont en cours d’expertise. Je salue l’engagement de la profession qui s’est mobilisée durant toute la préparation de cette expérimentation et je me réjouis de cette implication des pharmaciens dans la politique vaccinale.

Pourquoi ne pas autoriser la prise en charge au titre du développement professionnel continu (DPC) pour les formations liées à cette expérimentation ?

Cette prise en charge repose sur des formations exigées dans le droit commun et ne peut concerner les expérimentations régionales.

Peut-on imaginer demain des rappels vaccinaux à l’officine, avec des pharmaciens formés ?

Je compte énormément sur les pharmaciens pour m’accompagner dans mon discours de prévention et de santé publique, un virage dont on parle depuis trente ans sans l’avoir fait dans notre pays. Les pharmaciens sont très écoutés par leur patientèle. Il est indispensable qu’ils fassent preuve de pédagogie, de réassurance. Pour autant, nous n’avons pas prévu qu’ils puissent vacciner les enfants ; nous nous arrêtons pour le moment à la vaccination antigrippale à l’officine, une initiative qui a été très portée par l’Ordre et les syndicats de pharmaciens.

Le listage des opiacés l’été dernier, en particulier de la codéine, a été parfois critiqué en raison de la rapidité de cette décision. Il n’était plus possible d’attendre, selon vous ?

Je remercie les pharmaciens, malgré certains bruissements, car ils ont accepté ma décision rapide. Deux adolescents étaient morts depuis le début de l’année, et ces conduites se répandaient de plus en plus. Une nouvelle mort m’aurait été insupportable. C’était une pratique perçue comme non dangereuse par les adolescents parce que les produits étaient en vente libre dans les pharmacies, alors qu’il y avait un risque grave pour la santé. Nous avons donc fait en sorte que la prescription ne puisse être renouvelée qu’une fois par an ; pour autant, je ne nie pas que cela ait abouti à certaines difficultés pour des patients qui en ont besoin au long cours. Dans un choix politique, il y a une balance bénéfice/risque ; j’ai choisi de protéger en priorité les jeunes. J’espère que les patients le comprendront.

Ce listage prive les pharmaciens de molécules importantes pour le conseil officinal. Envisagez-vous, à l’inverse, le délistage de certaines molécules, comme la fosfomycine, voire une sorte de droit de prescription officinale ?

La question est ouverte. En tant que ministre de la Santé, je ne peux évidemment pas choisir moi-même les molécules qui seraient délistées mais je n’ai aucune opposition de principe sur le sujet. Ce n’est pas idéologique mais une simple question de dangerosité. J’ai tout à fait confiance dans le conseil officinal. Je vois bien aussi qu’en fonction du positionnement d’une pharmacie dans la ville, de son activité, du fait que sa clientèle soit régulière ou de passage, le temps et la capacité à conseiller – non la qualité du conseil – sont très variables d’une officine à une autre, et je dois prendre en compte cette hétérogénéité. Il est clair, par exemple, qu’une pharmacie située dans un aéroport n’a pas du tout le même temps, la même capacité de conseil qu’une autre en zone rurale qui connaît tous ses patients. Il faut être vigilant dans les cas où certains pharmaciens n’ont pas le temps de conseiller ou d’être écoutés par leur patient de passage. Mais aucune porte n’est fermée. Nous devrons prendre le temps de discuter de ces sujets. Je connais bien les pharmaciens pour avoir travaillé avec cette communauté dans mes précédents postes et ils sont très investis en santé publique.

À propos de santé publique, quid de la dispensation à l’unité ? On en a beaucoup parlé pendant la campagne présidentielle, plus du tout depuis. Qu’en est-il de cette promesse d’Emmanuel Macron ?

La suite va être très pragmatique. J’entends qu’il y a des avantages et des inconvénients. Je souhaite avancer sur ce sujet mais je veux prendre le temps d’en discuter avec tous les acteurs concernés. La prudence est nécessaire par rapport à un discours répandu dans l’opinion publique, qui voudrait que ce soit simple. Les questions de la traçabilité et de l’éducation des patients se posent, notamment.

Pas à court ni à moyen terme en tout cas à vous entendre…

Nous agirons en fonction des résultats de l’expérimentation. Je n’ai aucun avis préconçu sur le sujet, qui comporte des avantages évidents, par exemple sur les antibiotiques, mais également certains risques qu’il ne faut pas nier.

Lancer une concertation à propos de l’OTC en grandes surfaces était également une promesse de campagne de l’actuel président. Où en est-on aujourd’hui ?

Ce n’est pas dans les priorités du gouvernement.

Fin septembre aura été dévoilé le niveau des dépenses de santé pour l’année 2018. Emmanuel Macron tiendra-t-il sa promesse de maintenir l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) à 2,3 % pendant son quinquennat ?

J’ai toujours été très attentive au niveau de l’Ondam. Le président de la République a annoncé une moyenne de 2,3 % sur l’ensemble du quinquennat. Nous tenons nos promesses ; il s’agit bien d’une moyenne.

Dernière promesse de campagne, mettre en place une vraie politique de prévention en France. Où en est-on aujourd’hui et, surtout, avec quels budgets ?

C’est le premier axe de la stratégie nationale de santé (SNS) que j’ai présentée le 18 septembre. Un vrai virage de prévention nécessitera une forte concertation – un comité interministériel portera d’ailleurs sur ce sujet en novembre. Je considère que c’est un impératif, notamment si l’on veut tenir l’Ondam. Pas immédiatement, évidemment ; les effets d’une politique de prévention ne se feront sentir que dans dix ou quinze ans. Mais je veux inscrire ma politique dans le long terme, renforcer la capacité à bien vieillir. Il y aura des budgets spécifiques et les annonces de santé publique ont déjà été fortes, notamment en ce qui concerne le tabac ou les vaccins. Ce ne seront pas les seules. 

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