Certifier toutes les officines ou non est une question qui agite la profession depuis de nombreuses années. Et le moins que l’on puisse dire est que le trimestre qui vient de s’écouler aura suscité un regain d’intérêt pour cette démarche qu’au moins 2 300 pharmacies ont déjà adoptée, à en croire les chiffres de Pharma Système Qualité (PHSQ), qui promeut en France la norme ISO 9001 QMS Pharma, élaborée à partir de la norme ISO internationale et du référentiel QMS conçu par les Suisses. L’actualité a en effet été chargée autour de la qualité, avec l’affaire Lactalis (voir encadré « Lactalis : “environ” 25 officines poursuivies » ci-dessous) puis avec la publication de l’étude d’UFC-Que choisir, pointant des conseils inappropriés dans 24 % des pharmacies testées. Qu’ils le veuillent ou non, les pharmaciens se retrouvent désormais pris dans la spirale du « zéro défaut », où il ne faut plus seulement bien faire mais le prouver. Et la tension est devenue forte entre les tenants de la certification obligatoire et ceux qui tiennent à la maintenir facultative.
Un signe des temps
Le 14 février dernier, dans le cadre des auditions menées par les sénateurs suite à l’affaire Lactalis, la présidente de l’Ordre des pharmaciens, Carine Wolf-Thal, n’a nullement fait mystère de ses intentions : « S’agissant des procédures qualité, nous avons voulu aller plus loin, en proposant à la ministre de la Santé que les pharmacies s’engagent dans une démarche de certification. Je me suis moi-même engagée à proposer une démarche avant la fin de l’été. » De fait, une réunion préparatoire devait avoir lieu dans les locaux de l’Ordre des pharmaciens sur le sujet le 4 avril pour présenter à la ministre Agnès Buzyn une feuille de route. « C’est dans l’air du temps, confirme Martine Costedoat, directrice générale opérationnelle de PHSQ, mais la certification obligatoire n’est pas pour demain. Je rappelle que dans les bonnes pratiques de dispensation [applicables depuis le 1er février 2017, NDLR] existe déjà une obligation opposable de démarche qualité qu’un inspecteur de l’agence régionale de santé peut vérifier. C’est d’ailleurs ce que nous préconisons avant certification. » La présidente de PHSQ, Laëtitia Hible, renchérit : « Le côté obligatoire me rend dubitative. Nous avons évalué à 25 % ceux qui s’engageraient facilement. Il y a des réfractaires que nous n’emporterons jamais ; la peur du gendarme n’est pas efficace. »
« C’est dans l’air
du temps mais
la certification
obligatoire n’est
pas pour demain. »
De l’eau a coulé sous les ponts depuis la première certification d’une officine en 2003, uniquement ISO à l’époque. Dans l’intervalle, d’autres normes ont tenté de percer sur le marché, comme Qualiref, portée par le groupement Pharmaréférence, ou Qualipharm, lancée par IFMO. Actuellement, dans l’Hexagone, c’est le référentiel popularisé par PHSQ qui semble être la référence. Laëtitia Hible a d’ailleurs été invitée au tour de table géant organisé au ministère de la Santé le 16 mars dernier, aux côtés des représentants de la profession (Ordre, syndicats, groupements, étudiants, doyens, etc.). « J’ai demandé à la ministre deux choses, a-t-elle indiqué : la reconnaissance de la certification et une aide pour les pharmaciens qui veulent la mettre en place, que ce soit sous forme de rémunération à la performance ou d’un fonds régional comme il existe pour les maisons de santé. Quand on veut trouver de l’argent, on en trouve. » Tout aussi militante sur le sujet, la présidente de l’Ordre estime néanmoins que « la question n’est pas “si” mais “comment” nous irons [même si] beaucoup de choses restent à clarifier : certification et accréditation sont deux choses différentes et l’officine n’est pas la biologie. »
Échapper aux lourdeurs
Justement, la FSPF veut absolument éviter le processus d’accréditation devenu obligatoire en 2010 pour les biologistes et que ces derniers ont douloureusement vécu à cause de son extrême lourdeur. Leur cas fait ainsi office d’épouvantail dans le débat qui déchire la profession entre certification volontaire ou obligatoire. Mais les procédures à l’officine ne sont pas les mêmes : « Il ne faut pas qu’on se retrouve sous la coupe du Comité français d’accréditation (Cofrac) [l’organisme validant le processus d’accréditation des biologistes, NDLR], estime le syndicat. Or il y a un gros danger dans les années à venir qu’un processus de certification dérive en accréditation. » Côté médecins, en revanche, le processus de recertification de leur diplôme a été accueilli avec plus de bienveillance après l’annonce faite par Agnès Buzyn au congrès de leur Ordre en octobre dernier. Il faut dire qu’il ne s’imposerait aux futurs médecins qu’à partir de 2021 et ne concernerait que les praticiens déjà installés sur la base du volontariat. Un comité de pilotage sur le sujet a été mis en place le 1er mars dernier.
Du temps, des moyens
La crainte des pharmaciens est également que la certification soit l’occasion d’une mainmise renforcée sur l’exercice officinal par l’Ordre et les agences régionales de santé, ces dernières étant historiquement partisanes d’une certification des officines, partant du principe qu’elle leur permettrait de réserver leurs inspections aux cas les plus graves pour des raisons d’économies de moyens et de ressources humaines.
« La certification
représente 280 millions
d’euros par an,
soit 10 000 euros
par officine. »
Le dernier argument contre la certification n’est pas le plus mince (voir encadré « Plutôt méfiants que partisans », ci-dessous) : son coût, à la fois en termes financiers et de ressources humaines au sein des officines. Du côté de PHSQ, on se veut rassurant : « La mise en œuvre peut être certes un peu chronophage, à raison de deux à trois heures par semaine, commente Martine Costedoat, mais une grande partie de ces standards est réglementaire et est déjà en place dans les officines. » Le tout pour un coût de 1 200 euros par an. « C’est uniquement le coût négocié pour obtenir le label, contre Philippe Gaertner. La certification, c’est aussi des coûts cachés et avant tout du temps : une journée par semaine en moyenne pendant deux à trois ans, sur la base d’un coefficient 500, cela représente au bas mot 280 millions d’euros, soit 10 000 euros par officine, et je ne crois pas que l’État mettra la main à la poche. »
À la question de savoir si la certification aurait pu permettre d’éviter l’affaire Lactalis ou les conseils hors les clous détectés dans l’enquête d’UFC-Que choisir, les intervenants interrogés restent d’une prudence de Sioux, le zéro défaut étant évidemment un objectif inatteignable. Néanmoins, le ministère de la Santé, qui prône, entre autres, le conseil protocolisé (voir « Ciel, mon OTC ! », Le Pharmacien de France, no 1295), pousse la profession sur cette voie. Agnès Buzyn l’a répété lors d’un colloque sur le bon usage du médicament qui s’est tenu le 22 mars dernier : « Je m’inquiète des 10 % de pharmacies situées dans une gare ou un aéroport qui, en raison du passage, n’ont plus le temps d’assurer ces conseils. » Le temps s’accélère donc pour éviter que d’autres molécules que la codéine soient listées par son ministère. Mais si ce dernier réclame des assurances, la certification y répond-elle ?